VOYAGES DANS LE TEMPS

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… cette chanson, « la bohème » d’Aznavour, me trotte dans la tête depuis mon réveil sans arriver à m’en défaire. Je fredonne la suite malgré moi et souris intérieurement : J’ai bien plus de 20 ans ; de quel temps s’agit-il ?

La chanson revient, encore et encore, comme s’il « fallait » que je me souvienne.

Je démarre la voiture pour me rendre au travail. La radio s’allume sur « la bohème ». Je pense à voix haute : « bon t’es gentil Charles mais si tu as un message à me transmettre ce serait sympa d’être un peu plus clair !».

Dire qu’il m’a répondu aurait été de la science-fiction et pourtant… la voiture cale et ne veut plus redémarrer. Satanée batterie !

Je ne peux me permettre d’appeler pour dire que je ne viendrai pas travailler aujourd’hui. Enfin si, je pourrais bien sûr, mais je m’y refuse avec l’idée prétentieuse que le monde s’écroulerait si je n’allais pas pointer !

Une heure de route – oui tout le monde n’a pas la chance habiter à deux pas de son lieu de travail –, personne pour me dépanner avec des câbles de batterie, je me décide donc à prendre le train. Par chance je ne suis pas loin de la gare et le prochain RER arrive dans quinze minutes. Je serai à peine en retard.

Le siège qui m’attend me place en face d’un homme absorbé par son journal. Pas un sourire, pas une réponse à mon bonjour, je suis transparente. Une page attire mon regard : « prochain film du réalisateur Tim Burton  LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS du célèbre roman éponyme de H.G. WELLSi», titre l’article. Un frisson me parcourt l’échine. Je suis troublée, puis hausse les épaules. Je finis par m’assoupir en me sermonnant. Ridicule, et puis s’il y a message, il n’a qu’à être plus clair !

Comme en réponse à ma remarque, une grande secousse me fait rouvrir les yeux. J’ai un étrange sentiment. Je demande à mon compagnon de voyage ce qu’il se passe. A son tour il hausse les épaules sans dire un mot.

Je ne remarque pas tout de suite le changement. En y réfléchissant c’était impensable. Peut-être parce qu’habituée à ma vie bien réglée, j’ai fini par ne plus faire attention à rien autour de moi.

C’est le titre du journal qui attire en premier mon regard, de la même manière qu’il m’a interpellée en m’asseyant : « Les cris d’un mormon dans les rues de San Francisco : DE L’OR DANS LA RIVIÈRE AMÉRICAINE ! suscitent une véritable ruée des chercheurs de fortune en Californie ». J’écarquille les yeux et après les premières secondes de stupeur passées, arrache le journal des mains de l’homme en colère. J’ai à peine le temps de lire la date qu’il me l’arrache à son tour avec un « achetez-le vous-même ! » outré. Un chiffre clignote dans ma tête : 1848. C’est alors que je remarque le changement de décors et cela commence par une sensation d’inconfort sur mon siège. Et pour cause, je ne suis plus dans le train mais dans une diligence. J’entends les coups de fouet et les cris du cocher qui les accompagnent. Je tends craintivement le bras pour écarter le rideau de la fenêtre sans vitre. Le paysage qui s’offre alors à moi me fait penser à un Western de John Ford. C’est impossible ! Une rafale de vent chaud, étouffant, m’agresse le visage, me confirmant cette étrange réalité. Je relâche le rideau et me colle au dossier de mon siège sous le regard désapprobateur de l’homme. Je l’étudie plus attentivement et remarque son accoutrement d’un autre siècle. Lentement je lève mon bras au dessus de ma tête et ma main rencontre un chapeau à fleurs. Je porte une robe bleue ciel et des bottines. Moi qui d’ordinaire ne porte que des jeans, j’en reste ébahie. Ma poitrine se soulève avec difficulté. Je suffoque. « Il ne fallait pas tirer le rideau » me reproche l’homme avant de se replonger dans sa lecture. Il me voit désemparée mais ne fait que dodeliner de la tête. Peut-être que si je ferme les yeux et les rouvre tout reviendra à la normale. Mais non. Je bats plusieurs fois des paupières, de plus en plus vite, imaginant que la vitesse pourrait activer les choses. L’homme me sourit étrangement. Je tourne vivement la tête. Cet idiot a dû penser que je lui faisais du charme. Allez, calme-toi et réfléchis. Mais qu’y a-t-il à réfléchir ? Par je ne sais quel mystère me voilà en 1848 en pleine ruée vers l’or dans l’ouest américain. Que sais-je donc de cette période ? Pas grand-chose à vrai dire, excepté que c’était une époque faite de rêves et d’espoir, un lieu de tous les possibles où le passé pouvait s’effacer pour un nouveau départ. Elle avait ouvert la porte vers une terre promise et la frénésie avait gagné beaucoup d’hommes persuadés que de la découverte de ces cailloux brillants dépendait leur bonheur. C’était aussi une période de combats, un territoire convoité pas bien des pays, engendrant souffrance et désolation. Et puis il y avait les indiens. Cette fois-ci je frissonne. Un image s’impose à moi : des cavaliers poursuivant la diligence en tirant des flèches dont une se plante juste au-dessus de ma tête. Non ce n’est que mon imagination de cinéphile. La diligence n’est pas attaquée. Par contre je ne sais pas où elle me mène et n’ose pas demander au deuxième passager.

L’attelage ralentit et la voiture finit par stopper devant un bâtiment affichant « POST OFFICE SAN FRANCISCO ». La porte s’ouvre alors et mon compagnon de voyage, loin d’être un parfait gentleman, descend le premier.

Lorsque je pose le pied sur le sol poussiéreux quelqu’un semble m’attendre. Il s’avance vers moi et me dit que mon mari n’a pas pu venir me chercher car il a eu un accident. Je ne sais pas comment c’est possible mais je le comprends parfaitement, et ce que je retiens avant tout est le mot « Mari » , moi qui suis divorcée depuis des années ! Il ne me laisse pas le temps de réagir et me conduit vers son chariot. Il y a deux jours de route – façon de parler vu son état chaotique – avant d’arriver au campement où mon « mari » est retenu par une mauvaise fièvre et une jambe cassée. J’ai peur de la réponse à mes questions. Où allons-nous ? Où allons nous dormir avant le terminus. Nous allons au campement – je suis sensée savoir où il se trouve –  et dormirons à la belle étoile . Je ne sais pas quelle image il a de moi mais mon guide n’entendra que rarement ma voix durant ces deux jours. Il pensera sans doute que cela est dû à l’inquiétude et à mon impatience à me rendre au chevet de mon époux. Ah ça, je suis en effet impatiente de voir la tête qu’il a !

Bien sûr, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit ! On peut aisément imaginer pourquoi, au milieu de « Diablo Range », une chaîne de montage aride qu’il nous faut traverser avant de rejoindre ledit campement. Certes le ciel étoilé est magnifique mais les hululements de coyotes et bruits divers m’empêchent d’en profiter.

Lorsque nous arrivons je suis épuisée, les yeux cernés ; une tête de circonstance car l’heure est grave me dit le médecin. Je ne comprends toujours pas ce qu’il m’arrive et je subis plus que ne vis ce moment d’un autre temps. Que puis-je faire d’autre ? Je ne sais comment j’y suis arrivée, et encore moins comment en partir.

On me mène sous une tente, vers un homme allongé sur un lit de fortune en m’expliquant qu’il était intransportable. Et pour cause, son visage est en sueur, son corps tremblant et sa jambe gauche doublée de volume. Je vois la plaie responsable de son état. Elle suppure, et même si je ne suis pas médecin je comprends vite que la gangrène s’en est emparée, que son état est critique et que même si on lui coupait la jambe, cela ne suffirait pas à le sauver. Je retiens mon envie de vomir et compatis à sa souffrance.

Je m’approche un peu plus et bizarrement son visage me dit quelque chose. J’ai la sensation de le (re)connaître, une sensation bien étrange qui me trouble davantage lorsqu’il ouvre péniblement les yeux. Il sourit en me voyant, et ce sourire augmente mon trouble. Il tente de parler. Je me surprends à lui dire : « non ne dis rien, repose-toi ».

Il s’entête : « Je n’en ai plus pour longtemps… si, je le sens bien. Ceux qui m’ont fait ça s’en prendront à toi Jeanne – ainsi je m’appelle Jeanne – et ils sont prêts à tout pour récupérer la concession. Elle t’appartient maintenant – il se met tousser – fais-en ce que tu veux, mais surtout fais attention à toi. J’ai été fou de t’entraîner dans mon rêve. Ma folie ne doit pas être la tienne… ».

Une quinte de toux le plonge dans un silence profond dont il ne se réveillera pas. Au même instant j’entends un coyote hurler à la mort. Mon sang se glace. Je pleure mais ne sais pas pourquoi. En sortant de la tente je suis désemparée. Je ne sais pas ce que je dois faire. Que suis-je venue faire ici ? Qui m’y a envoyée ? Comment en sortir ? Comment revenir dans mon monde ?

Mon regard baigné de larmes se pose sur une silhouette en haut d’une colline. Un cavalier m’observe. Il est magnifique avec ses plumes surplombant l’arrière de son crâne, et malgré la distance ses peintures sur le visage et le torse sont parfaitement visibles. Contre toute attente, je n’ai pas peur de lui. Quelque chose m’attire. Il ne m’est pas inconnu.

Je regarde l’indien s’éloigner puis disparaître avec la certitude que nos chemins se croiseront de nouveau…

A SUIVRE

iPure spéculation de l’auteure. Tim Burton n’a jamais eu cette idée… mais pourquoi pas ?

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