UN TRÉSOR INATTENDU

 

Dans une maison non loin d’un lac vivaient deux frères : Célestin et Elias. Célestin, l’aîné, s’était toujours senti investi d’une mission : protéger son frère et veiller à ce qu’il ne lui arrive rien… ce qui lui donnait beaucoup de travail car il fallait bien l’avouer, Elias – qu’il appelait « Hélas » quand il était en colère – était un « chenapan » comme disait souvent leur mère. Quand ce dernier l’embêtait trop il chantonnait devant lui en mimant un singe : « hélas j’ai un petit frère, hélas j’ai un petit frère… ».

On aurait pu penser à les voir que Célestin était le plus terrible mais, faut-il vraiment le rappeler, il n’est pas bon de se fier aux apparences. Il se faisait souvent disputer à sa place. Sa mère lui disait sans arrêt : « C’est toi le plus grand, c’est à toi de montrer l’exemple ! » ou bien «  C’est toi l’aîné, c’est à toi de le surveiller ! ». Comment ne pouvait-il pas croire dans ces conditions qu’il était « le chef ». Mais le revers de la médaille ne se faisait pas attendre : « arrête d’embêter ton frère ! » entendait-il ensuite lorsqu’Elias se mettait à pleurer capricieusement.

Ne croyez pas non plus que ces deux-là étaient comme chien et chat. Encore une fois, il ne faut pas se fier aux apparences. En réalité c’était tout le contraire, ils étaient soudés par un lien indéfectible : l’amour fraternel. Un amour inconditionnel que rien, non rien ni personne n’aurait pu briser. Cela ne les empêchait pas de se chamailler – des « chamailleries d’amour » disait le père pour rassurer la mère – et au grand frère de faire des blagues au petit.

Un matin en route pour l’école, Elias, les yeux embrumés de sommeil, comme à son habitude râlait : « mais maman la lune est encore là ! ». A elle seule cette phrase devait expliquer sa fatigue et son envie de dormir, car pour un enfant, la lune est synonyme de nuit. Et en effet, phénomène incompréhensible pour un enfant de cet âge, le ciel matinal abritait encore une lune diaphane.

« Tu as raison, rétorqua sa mère, c’est parce qu’elle voulait te faire un petit coucou avant d’aller, à son tour, se coucher. »

Célestin avait ricané en voyant la bouche grande ouverte de son frère le pouce encore collé au palais. Ce dernier s’était alors mis en colère : « arrêteuuu » en lui donnant une tape sur le bras. Aucun risque de lui faire mal mais il fit tout de même un « aïe » qui fit réagir aussitôt la maman : « Célestin laisse ton frère tranquille ! »… Allez comprendre !

Cependant il ne se démonta pas, et devant le regard faussement contrit du petit frère, lui murmura :

« Eh, Elias, écoute. Je vais te dire un secret.

— Quoi ? Demanda le frérot, méfiant.

— La lune, eh bien, elle est magique.

— C’est vrai ? »

Les yeux écarquillés d’Elias amusèrent beaucoup Célestin.

— Bien sûr que c’est vrai. Elle a le pouvoir de changer de couleur. Des fois rouge, des fois jaune… et des fois bleue…

— Bleue ?

— Oui bleue, continua le grand frère d’un ton mystérieux. Et quand elle devient bleue, elle révèle un grand trésor…

— Comme un trésor… caché ? »

Ce n’était plus des scintillements dans les yeux d’Elias mais des millions étoiles qui illuminaient son visage.

« C’est le trésor des sirènes…

— Des sirènes, où ça ? »

Célestin se délectait d’entendre son frère répéter tout ce qu’il disait.

« Au fond de l’eau bien sûr. Les sirènes vivent au fond de l’eau. Et lorsque la lune bleue se reflète dans l’eau, elle dévoile un immmennnseee trésor. »

La façon dont il allongea le mot « immense » hypnotisa le petit frère. Il s’approcha ensuite de lui et ajouta d’une voix plus forte : « Mais attention ! » ce qui le fit sursauter.

« Cela ne dure pas longtemps. Quelques minutes à peine, après elle change de couleur et le trésor disparaît. »

La voiture s’arrêta devant l’école mettant fin à l’histoire. Célestin descendit du véhicule content de lui et de sa blague sous le regard réprobateur de la mère.

La journée passa sans évènement particulier. Le retour à la maison en fin d’après-midi n’apporta rien de plus que des histoires de cour de récréation, et avec la lune disparue, le trésor des sirènes fut oublié.

Plusieurs jours s’écoulèrent avant l’étrange évènement. Une nuit de pleine lune Célestin se sentit secoué dans son sommeil. Un petite voix répétait à son oreille : « La lune est bleue, la lune est bleue… » avant d’ajouter « dépêche-toi il faut aller chercher le trésor ! »

Le grand frère à moitié endormi marmonna « Hélas j’ai un frère ! » puis « les sirènes n’existent pas, laisse-moi dormir » avant de se recouvrir la tête de la couette du lit. Mais la graine du doute avait fini par germer et, devant le silence revenu, Célestin ouvrit les yeux. Son frère n’était pas là. Avait-il rêvé ? Il se leva pour vérifier et ce qu’il vit l’étonna d’abord, l’effraya ensuite : Elias n’était pas dans son lit. Il ne devait pas être loin : les draps étaient froissés et encore chauds. Il regarda par la fenêtre de la chambre et n’en crut pas ses yeux : la lune était bleue ! Pas d’une teinte légèrement bleutée. Non. D’un bleu d’un ciel d’été sans nuages, lumineux.

C’est alors qu’il vit une ombre se faufiler hors de la maison. Elias, sur son vélo, pédalait à vive allure. La panique le saisit. Au lieu d’aller réveiller ses parents, il sortit à son tour de la maison, enfourcha son vélo pour rattraper le petit « chenapan ». Ah il allait passer un sale moment quand il le rejoindrait ! Mais plus que tout, il était inquiet et se sentait responsable. Son frère était certainement parti au lac à la recherche du trésor caché des sirènes… à cause de lui.

L’angoisse saisit Célestin à la gorge. Il répétait inlassablement en pédalant : « hélas j’ai un petit frère, hélas j’ai un petit frère…». C’était plus un exutoire qu’un réel sentiment car il était mort de peur à l’idée que quelque chose ne lui arrive.

Puis il aperçut le vélo, gisant au bord de l’eau, et ce fut comme si on lui arrachait le cœur de la poitrine. Il se précipita vers l’objet abandonné et entendit soudain : « je le vois! ».

C’est alors qu’il le vit, les pieds dans l’eau, montrant l’horizon du doigt :

« Là-bas ! ».

— Dis pas de bêtise, le trésor n’existe pas. J’ai tout inventé pour te faire marcher.

— Mais si, regarde ! »

Et comme en réponse à ses doutes, la lune se mit à briller davantage faisant se refléter dans l’eau des ondes à la fois dorées, argentées et bleutées.

Sans plus réfléchir, Elias s’avança dans l’eau sous les cris de son grand frère. Ce dernier ne se souvenait pas que l’eau de ce lac marin, sujette aux marées de l’océan, s’était retirée permettant d’accéder à l’autre rive. Cela n’en restait pas moins dangereux pour un enfant de l’âge d’Elias.

Au fur et à mesure que Célestin se rapprochait de lui, il n’en crut pas ses yeux : Etait-ce vraiment ce qu’il croyait que c’était ? UN TRESOR ?

Il vit alors Elias couler et se précipita pour le sortir de l’eau en lui agrippant le bras.

C’est à cet instant qu’il leur sembla distinguer un amoncellement d’objets scintillants flotter, couler, puis se déplacer en zigzagant. Ils aperçurent ensuite quelque chose sortir de l’eau.

« C’est la sirène, s’écria Elias ! »

Célestin médusé resta sans voix. Il blottit son frère contre lui et ensemble ils regardèrent ébahis s’éloigner leur découverte dans un battement de queue de poisson.

Personne ne voudrait jamais les croire. Et pourtant, ils n’avaient pas rêvé. Déçus mais cependant émerveillés, ils repartirent se coucher en se promettant de ne jamais rien révéler du trésor caché des sirènes.

Au petit matin, les deux frères déjeunèrent en silence, soudés par un secret surgi d’une nuit de lune bleue. Car même s’ils apprirent qu’un dauphin avait réussi à franchir le barrage pour se retrouver prisonnier du lac, pour eux c’était bel et bien une sirène qui avait emporté au loin son trésor à tout jamais… ou jusqu’à la prochaine lune bleue. Et ça, c’était le plus beau des trésors qu’ils partageraient jusqu’à la fin de leur vie. Du moins c’est ce qu’ils crurent jusqu’à l’annonce que leur fit leur maman : « Mes chéris, j’ai une grande nouvelle  : vous allez avoir un petit frère ».

FIN

Véronique

le 27/10/2018

10 réflexions sur « UN TRÉSOR INATTENDU »

  1. Que je l’aime ce conte!!une belle histoire de fraternité, simple et douce. Et puis tellement vrai. ce sont bien les secrets, petits ou grands qui nous rapprochent…Bravo

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