QUESTION(S) DE (SUR)VIE

Ce n’était donc pas un rêve. Elle aurait préféré.

En ouvrant les yeux, le paysage qui s’offrait à elle n’était que tristesse et désolation. Le soleil ressemblait à un four géant dans lequel la terre avait cuit trop longtemps. Combien de temps était-elle restée sans connaissance ?

Elle voulut appeler à l’aide mais aucun son ne sortit de sa bouche. De toute façon qui aurait bien pu lui répondre ? Il n’y avait nulle part un lieu pour abriter qui que ce soit. Aucune habitation, aucun rocher, aucun caillou. Tout était désespérément plat, à perte de vue, et pas le moindre brin d’herbe, le moindre buisson pour la protéger de la chaleur accablante ; une terre brûlée aspergée d’acide.

Comment était-ce possible ? La raison lui disait qu’il fallait bouger, faire un pas. Son regard scanna l’horizon et ne vit aucun objectif à atteindre. Elle ne tiendrait certes pas longtemps sans eau ni nourriture. A quoi bon alors dépenser autant d’énergie pour rien ? Cependant elle ne se voyait pas mourir au milieu de nulle part, pas maintenant, pas encore. Mais qu’était donc cet endroit et pourquoi avait-elle atterri ici ? Elle n’arrivait pas à se souvenir ni quand, ni comment elle y était arrivée.

Elle devait se mettre en mouvement. Attendre la fin sans rien faire n’était pas une solution. Mais pour aller où ? Une petite voix ordonna soudain : « lève toi et marche ! ». Cette voix remontant de ses entrailles, bien qu’impérieuse, lui sembla bienveillante. Hélas, il fallait être lucide. À quoi bon ? Cela ne mènerait à rien. Encore une fois son regard se porta sur cette terre dévastée, asséchée sans signe de vie. Il suffirait de s’allonger là et rester immobile. Le soleil ne tarderait pas à la brûler également, l’aidant à s’éteindre, tout simplement. Mais qui a dit que tout était simple ? Pourquoi ne pas explorer, voir jusqu’où s’étendait ce désert ? Après tout elle avait tout le temps, celui que lui accorderait le manque d’hydratation et d’ombre. Tant qu’à s’écrouler, pourquoi pas d’épuisement ?

Elle réussit à se lever, péniblement, leva la tête vers cet astre flamboyant qui la narguait, puis se mit en route, lentement, un pas après l’autre, vers un avenir plus qu’incertain.

Elle mit à profit cette marche pour réfléchir et tenter de se remémorer ce qui avait bien pu arriver. Une guerre nucléaire ? Non elle n’y aurait pas survécu. Le rayonnement du soleil ? Elle avait lu que les éruptions solaires pouvaient agir – et le feraient un jour immanquablement – comme des micro-ondes bombardant le noyau terrestre, signant la fin du système et de la planète. Elle n’aurait pas été épargnée. Ou bien ce n’était pas sa terre. C’était ça, bien sûr, c’était évident. Le sol que ses pas foulaient n’était pas celui de sa planète bleue. Elle était sur une autre planète. Quelqu’un l’avait déposée là pendant son sommeil. Oui mais qui et pourquoi ? Était-ce un jeu ? Une expérience ? Une plaisanterie ? Dans quelques minutes quelqu’un crierait « coupez ! » et un rideau tomberait sur ce décors de cinéma dévoilant une ville animée avec ses lumières, sa foule, ses bruits, ses restaurants et une fontaine d’eau pure et fraîche.

Elle claqua sa langue râpeuse sur le palais. Le manque d’eau se faisait sentir. Sa bouche était sèche et pâteuse. Elle ne tiendrait pas longtemps ainsi. Combien de temps était passé ? Le soleil assassin était encore bien haut.

Le paysage n’avait pas changé. Elle marchait maintenant telle une automate. Marcher pour marcher. Elle n’avait rien d’autre à faire, cependant elle se surprit à penser qu’elle ne se verrait pas s’arrêter. La petite voix qui lui avait ordonné de marcher venait de lui susurrer « patience ». Elle eut un hoquet de moquerie. Une bonne blague. On lui disait d’être patiente. Sachant qu’à ce train-là elle ne tiendrait guère que quelques heures, à quoi servait cette patience ? Patiente, de quoi, pourquoi, pour qui ?

C’est dans ces instants que l’on fait le bilan de sa vie, parait-il. Elle chercha donc dans sa vie ce qui avait mérité cette épreuve. Avait-elle fait du tort à quelqu’un ? Avait-elle gâché cette vie offerte ? Qu’aurait-elle dû faire pour vivre mieux ? Que n’avait-elle pas fait pour vivre comme elle aurait dû ? Tant de questions qui risquaient de rester sans réponse. Elle aurait eu de quoi écrire elle aurait pu faire une liste de tout ce qu’elle pourrait faire, de ce qu’elle aurait dû faire et s’en était empêché pour des motifs raisonnables.

Alors qu’elle faisait mentalement cette liste, elle sentit quelque chose dans une poche de son pantalon. Elle y plongea sa main et en ressortit un crayon. Elle sentit également quelque chose dans l’autre poche et découvrit un morceau de papier. Plus qu’étrange, c’était impossible. Comment ne les avait-elle pas sentis avant ? Et pourtant, ces deux objets en main, elle se dit « fais-le puisqu’ils sont là, histoire de tuer le temps ». Mais elle ne pouvait pas écrire en marchant. D’un autre côté, s’arrêter c’était prendre le risque de ne plus redémarrer. Pas facile. Après quelques mots griffonnés, il lui sembla apercevoir au loin une forme. Un mirage ? Elle ne risquait rien à aller voir et tout en continuant à écrire elle se dirigea vers sa vision. Ça n’en était pas une. Un rocher était planté là, telle une invitation à s’asseoir. La stupeur première fit place à la méfiance. Cependant elle sentit que ce siège providentiel n’était pas un terminus. Elle s’accorda donc une pause tout en continuant à écrire. Étrangement, les idées s’éclaircissaient au fur et à mesure des mots qu’elle inscrivait sur le papier. Bientôt elle n’aurait plus assez de place, plus de mine, plus rien à dire peut-être, pourtant elle continua comme si rien ne pouvait plus l’arrêter. Et comme elle arrivait en bas de page, il lui sembla que la feuille s’était agrandie et la mine du crayon allongée. Le rocher lui-même semblait plus gros ; ses pieds ne touchaient plus terre.

« Patience » revint en tête. Elle dut sauter pour toucher le sol, mue par une étincelle de courage qui enflamma sa détermination. Le soleil était plus bas et lui parut moins intense.

Elle ne sut ce qui attira l’œil en premier : la couleur ou l’ombre. L’ombre venait d’un arbre et la couleur, de ses feuilles d’un vert flamboyant. Elle se dirigea vers lui se demandant si ce n’était pas une vue de son esprit, issue d’un désir profond. Arrivée au pied de cette réalité, elle put se reposer adossée au tronc, abritée du soleil par les feuilles, pleine de gratitude pour ce cadeau inespéré. Elle se mit à espérer une suite à son histoire. Il ne manquait plus que l’eau pour être tirée d’affaire – la nourriture suivrait certainement.

Elle se surprit à imaginer un nuage dans le ciel porteur de pluie, et la tache qu’elle vit se mouvoir sur le sol aride lui fit lever la tête. Il était là, comme un clin d’œil de la providence, et cette providence se mit à pleurer, lui offrant ainsi de quoi s’abreuver.

Une nouvelle vie était en marche sans qu’elle s’en rende compte. Une nouvelle terre qui n’en était pas une, sèche, sans but, sans espoir, lui apportait les réponses qu’elle se posait depuis longtemps, bien avant son sommeil. Quoi de plus miraculeux que les désirs devenus réalité ? Après l’eau, vint la nourriture, celle du ventre, celle de l’esprit. Les fruits de l’arbre la rassasièrent et lui donnèrent la volonté nécessaire pour avancer.

Lorsqu’elle se remit en route, l’herbe poussa sous ses pas, traçant un fil directeur. Et plus elle avançait, plus cette planète ressemblait à celle qu’elle avait connue et perdue. Elle se surprit même à espérer rencontrer âme qui vive.

Le soleil finit par se coucher et une pluie d’étoiles lui montra la route. C’est ainsi qu’après de longues heures de marche, de réflexion et d’écriture, elle aperçut un campement autour d’un point d’eau. Elle fut accueillie à bras ouverts par des gens simples et bienveillants qui lui portèrent secours. Elle ne sut pas vraiment ce qu’elle avait traversé, pourquoi sa terre était devenue soudain si hostile. Une chose était sûre, elle avait bien failli s’y perdre. A présent, elle ne la verrait plus de la même manière. Quelque chose avait changé et l’air qu’elle respirait lui paraissait plus pur.

Dès lors elle se fit un promesse qu’elle comptait bien tenir : celle de tout faire pour garder l’herbe la plus verte possible sous ses pieds, et de la semer aussi loin et aussi longtemps qu’elle le pourrait.

7 réflexions sur « QUESTION(S) DE (SUR)VIE »

  1. Je dis rien parce que de toute façon tu lis dans ma tête 😉😉😅
    …..le pouvoir de l intention …
    Comme d habitude c est magique ….
    Dessin …film……🤪🤪🤪🤪

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