LES TROIS C…

 

Il était une fois trois petits chats qui se prénommaient Curieux, Courage et Confiance. Bien que n’étant pas de la même portée, ils étaient nés la même année, habitaient le même quartier et avaient pour habitude de se retrouver dans la rue pour jouer.

Il n’y avait pas plus adorables que ces chatons de couleurs différentes mais pourtant unis par un même instinct. Ils étaient inséparables. Si Courage n’était pas là, Curieux se mettait aussitôt à le chercher et Confiance modérait son impatience. Si Curieux était malade, Courage avait toujours un mot pour lui parler des jours meilleurs. Confiance quant à lui n’avait qu’un mot à dire pour qu’il aille mieux. Si Confiance manquait à l’appel, Curieux était le premier à trouver cela étrange et Courage entraînait alors son ami pour aller prendre de ses nouvelles : oui, inséparables ces trois-là.

Un jour de printemps, alors que les Trois C s’amusaient à sauter dans des flaques d’eau – oui certains chats adorent jouer avec l’eau – ils remarquèrent un vieux chat noir qui prenait le soleil sur une murette. Il était immobile, telle une statue, et les chatons s’approchèrent de lui, intrigués. Comment un chat pouvait-il rester ainsi sans bouger aussi longtemps ? Ils miaulèrent tant et si bien que le pépère finit par ouvrir les yeux dévoilant une couleur verte pénétrante qui les fit sursauter, puis reculer de peur.

« Qu’avez-vous à me tourner autour ainsi en piaillant tels des oiseaux ? demanda le chat noir d’une voix endormie.

— On vous croyait mort, répondit Curieux.

— Alors on a voulu voir, continua Courage.

— Moi je leur disais bien que vous dormiez, renchérit Confiance. »

Le vieux chat s’étira de tout son long en bâillant, faisant craquer ses articulations ce qui arracha quelques miaulements de moqueries.

« Comment tu t’appelles ? Demanda Curieux.

— On m’a donné deux prénoms : Victoire et Amour.

— Deux prénoms, quelle chance !

— Je ne me suis pas toujours appelé ainsi…

— Ah bon ? T’as eu plusieurs maîtres ?

— Si on veut. On peut le voir ainsi. »

Les Trois C échangèrent un regard entendu. Nul doute que ce chat-là avait perdu la tête à rester ainsi trop longtemps au soleil.

Courage osa alors une question à son tour.

« Comment tu t’appelais avant ?

— Oh je ne m’en souviens plus mais quand je rêve, j’ai des flash de mes six autres prénoms…

— Six ! s’exclama Confiance.

— C’était dans mes rêves et je n’y comprenais rien jusqu’à ce qu’un jour, je rencontre un très très vieux chat…

— Plus vieux que toi ?

— Oh oui, beaucoup plus vieux ! Dans le quartier on l’appelait le « Chat-man » parce que c’était un sage, un ancêtre chat dont la vie paraissait éternelle tellement il était vieux. C’était lors d’un long voyage…

— Au-delà du quartier ! s’exclamèrent ensemble les Trois C, les yeux pétillants.

— Au-delà de la ville, précisa le pépère mystérieux.

— Ouah ! Firent les chatons en chœur.

— J’étais jeune à l’époque, et un peu fou… un peu comme vous. Je vivais de tout et de rien, on m’appelait le Chat-cra-cra. Je vivais, mangeais, au grès des mes besoins, et me bagarrais souvent pour survivre.

— Tu n’avais pas de famille ! S’exclama Curieux.

— Tu t’es battu ! Lança Courage. »

Le vieux chat sourit à l’exclamation sceptique de ce dernier.

« Ben pourquoi pas, répondit à sa place Confiance. Il n’a pas toujours été vieux.

— Très juste mon jeune chat. Mais surtout je n’avais pas le choix, et croyez-moi, là où je vivais on me connaissait comme le loup blanc… c’est un animal féroce, précisa-t-il aussitôt devant leur yeux interrogateurs. Un jour, une bagarre plus violente que les autres m’obligea à partir. Je ne le fis pas de gaîté de cœur car j’étais habitué à ce quartier. Même si je n’avais pas de foyer, j’y avais mes habitudes. C’est donc la mort dans l’âme que je partis, errant ça-et-là sur les chemins, ne sachant où cela me mènerait, si je trouverais de quoi me nourrir, enviant ceux qui étaient bien au chaud sur les genoux de leurs maîtres.

Après un terrible orage où je crus ma dernière heure arrivée, je le rencontrai : Le Chat-man.

— Oh… ! Firent les chatons captivés par l’histoire.

— Je ne savais pas encore qui il était bien sûr. Et je dois avouer que son aspect n’avait rien d’extraordinaire – un pelage de chat de gouttière, si vous voyez ce que je veux dire. »

Le clin d’œil que fit le vieux chat les surprit tous les trois.

« Pourtant ce pelage irradiait un je-ne-sais-quoi qui m’attira. Je m’approchai donc de lui pour lui demander mon chemin ainsi qu’un endroit pour me mettre à l’abri.

— Quel est ton nom jeune chat ? Me demanda-t-il.

— Je n’en ai pas ; on m’appelle le Chat-cra-cra.

— Excuse-moi je suis un peu sourd. Le Chat-cra, as-tu-dit ?

— Non le Chat-cra-… »

Il me coupa la parole.

« Et tu dis que tu n’as pas de nom ? Pourtant je t’assure que tu en as un. Il est gravé dans cette vie depuis ta naissance. Tu ne l’as juste pas encore découvert.

— C’est à moi de me trouver un nom ?

— Tu peux porter le nom que tu veux, le surnom que l’on te donne, mais celui que tu as, le vrai c’est à toi de le découvrir. »

Je trouvais cela tellement ridicule que, bien sûr, je n’écoutai que d’une oreille. Je n’étais pas prêt pour ce genre de discussion. J’étais trop fougueux et surtout trop perdu et affamé. Je ne demandais qu’une direction et lui me faisait un discours que ressemblait au délire d’un vieux fou. Et comme s’il lisait dans mes pensées il dit ;

« Tu crois ne pas comprendre car tu cherches quelque chose devant toi au lieu de le chercher en toi. Tu as tout pour le trouver il suffit juste d’activer les Trois C. Regarde autour de toi. Crois-tu que tu es arrivé jusqu’ici par hasard ? »

Les Trois C ? Je n’entendais rien à ce qu’il me disait. Puis je tournai la tête et vis ce que je n’avais pas remarqué jusqu’alors : un village illuminé, des potentialités de foyers, des possibilités de chaleur et d’amour. Mon regard s’éclaira. Je voulus le remercier mais déjà il s’éloignait d’une lenteur nonchalante.

« Quel est ton nom ? Lui criai-je avant qu’il ne disparaisse.

— On m’appelle le Chat-man, mais tu peux m’appeler comme et quand tu le souhaites. »

Puis il disparut.

J’observai les lumières aux fenêtres des maisons et m’approchai lentement, me demandant laquelle choisir. La curiosité m’amena devant une dont la porte s’ouvrit soudain sur une petite fille.

« Macha, rentre, dit une voix venant de l’intérieur, il fait froid.

— Oui maman, dit la petite fille, mais j’ai entendu miauler. »

Je ne l’avais pas encore fait, pourtant cette enfant avait, comme par magie, senti ma présence. Je m’approchai donc et vit sa mère sortir à son tour.

« Tu es sûre ma puce ? Demanda-t-elle avant de me voir.

— Oui regarde le pauvre chat. Il est tout mouillé…

— Et sale, et écorché de partout, et certainement mort de faim !

— Maman, dis maman, on peut le garder ?

— Je ne sais pas. Il appartient peut-être à quelqu’un.

— Il n’a pas de collier.

— Oui tu as raison, et vu son état, il est sûrement abandonné, le pauvre. »

C’est ainsi que je fus adopté par une gentille famille. Alors que je m’aventurai avec une étrange assurance dans ma nouvelle demeure, une question importante fut posée.

« On va l’appeler comment, maman ?

— C’est vrai, il faut lui trouver un nom. »

Apparemment ce doit être difficile de trouver un nom car elles n’arrivaient pas à se décider.

« A voir son pelage, ses plaies et ses cicatrices, dit la mère, il a dû beaucoup se battre. Et pour avoir réussi à venir jusqu’ici – il est vrai que je n’étais pas beau à voir – que penses-tu de Victoire ?

— Oui, et tu sais je crois qu’il nous aime déjà beaucoup.

— Tu as raison ma chérie. On sent qu’il y a plein d’amour en lui.

— Oh oui, oui. J’adore ! Amour est un joli nom. Dis, on l’appelle amour ?

— Si tu veux. »

Le petite fille ravie, réfléchit quelques secondes.

« Oui mais maman, j’aime bien Victoire aussi. Je trouve que ça lui va bien. »

Difficile de choisir entre Victoire et Amour. Elles tombèrent donc d’accord pour garder les deux. C’est ainsi que l’une m’appela Victoire, et l’autre affectueusement Amour. »

Les chatons, bouche bée, s’agitèrent ensuite.

« Quoi c’est tout ? Demanda Curieux. Et le chat-man est revenu ? Et qu’est-ce qu’il voulait dire, trouver son nom ? Et pourquoi on peut l’appeler quand on veut ? Et pourquoi…

— Toi aussi tu aurais pu avoir un deuxième prénom, coupa le vieux chat, moqueur. »

Les deux autres se moquèrent de lui.

« Profitez de votre jeunesse mes chatons, les réponses viendront au moment opportun. En attendant, jouez, sautez dans l’eau, oui profitez, mais gardez dans un coin de votre tête, qu’ensemble vous pouvez réaliser tout ce que vous souhaitez, dans cette vie ou dans une autre. N’oubliez pas que nous en avons sept – nouveau clin d’œil du chat noir – alors n’hésitez pas à Chanter, Chahuter, Chasser, et un beau jour – ou une belle vie – vous arriverez comme moi à trouver le foyer qui vous convient. »

Le vieux matou sauta alors de la murette pour rentrer chez lui, laissant les chatons quelques secondes perplexes avant de repartir sauter dans la flaque d’eau.

Les paroles du Chat-cra-cra furent vite oubliées mais les jours qui suivirent apportèrent leur lot de tristesse. Les Chatons furent séparés pour intégrer chacun un nouveau foyer : ils ne se verraient plus jamais.

Curieux promis à ses deux compagnons qu’il chercherait tous les jours un moyen pour les retrouver.

Courage dit aux deux autres qu’il trouverait bien la solution pour les rejoindre, quelle qu’elle soit.

Confiance, quant à lui, leur assura qu’il ne doutait pas un instant de leur retrouvailles un jour.

Les années passèrent et en vieillissant les Trois C, heureux dans leurs foyers respectifs, se souvinrent du vieux chat. Non parce qu’ils finirent pas se retrouver – ce ne fut pas le cas, pas encore – mais parce qu’au fond de chacun d’eux, ils avaient emporté dans leur cœur un peu des deux autres. Ils comprirent qu’une part de Curieux, Courage et Confiance leur avait permis de se poser là où ils étaient, là où on les attendait. Ils eurent la certitude également que peu importe le temps que cela prendrait, peu importe la vie, si leurs routes devaient se croiser de nouveau ils se reconnaîtraient. Après tout ils n’en étaient qu’à leur première !

 

FIN (mais peut-être pas)

12 réflexions sur « LES TROIS C… »

  1. Coucou .. j’adore ce conte de chats. Belle leçon de vie ,d humilité ,de sagesse ..
    Chat cra ? Ou chacra ?
    Moi chameva !!

    1. Ah ah ah, non le V c’est Milène qui l’a trouvé, pas moi, mais quand elle l’a trouvé je venais de publier mon conte sur le blog et ça parlait de … Victoire…!!!! T’as pas un dessin de petits chats ou de gros matou qui t’est venu par hasard (hi hi)

  2. Merci beaucoup Cathy… c’est parce que je suis inspirée ! Une chose est certaine j’y prends énormément de plaisir. Bisous

  3. Au début, j’ai pensé à nous les 3 C (curieux, confiance et courage), les 3C et V (Victoire) c’est nous en fait (tu vois de qui je parle ?!!) hihihi
    Très belle histoire, ils ne se sont pas rencontrés par hasard 😉

    1. Et bien vous avez attisé ce matin ma curiosité (marrant non ? Je dois être curieux des trois C…) donc j’ai lu et c’est trop mignon !
      Peut être me trompe-je mais merci vero 😍

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