2220

Aujourd’hui est un grand jour. Nous fêtons le bicentenaire de l’ÉVEIL.

Notre éducateur principal nous annonce la bonne nouvelle : notre classe a été sélectionnée pour le « voyage du siècle ». De toutes les classes de toutes les planètes de la galaxie, c’est la nôtre qui a été choisie pour inaugurer la réserve qui vient de s’ouvrir. C’est une chance incroyable et je suis impatiente d’être du voyage. Destination : LA TERRE.

La terre. Quand j’étais petite, j’ai longtemps pensé que c’était une légende, et les histoires racontées par ma grand-mère avant de m’endormir « des contes à dormir debout », selon son expression favorite.

Il y en avait une qui m’avait particulièrement marquée. Elle parlait d’une femme qui, sur un scooter des mers (engin motorisé qui glisse sur l’eau), tentait de regagner le rivage sur une eau agitée. Elle était épuisée, découragée de voir le bord encore trop loin, effrayée par des vagues de plus en plus fortes. Alors qu’elle allait se laisser sombrer, trois dauphins lui étaient apparus, sautant à deux mètres d’elle. Ils l’avaient accompagnée jusqu’au bout, lui insufflant le courage et la force nécessaires à son retour.

Je lui avais demandé : « c’est quoi un dauphin ? ». Elle avait alors touché l’écran de son bracelet. Un rayon en était sorti dévoilant l’image d’un étrange mammifère marin.

« Certains ont même eu la chance de nager avec eux » avait ajouté ma grand-mère . « C’est quoi nager ? » lui avais-je demandé. Elle avait alors agité les bras d’une drôle de façon, m’expliquant que c’était comme les grenouilles. « C’est quoi les grenouilles ? ». Elle avait souri et répondu qu’il était tard et que ce serait pour une autre fois.

C’était 200 ans avant que la planète ne soit déclarée réserve naturelle par la PGUT (Protection Galactique Universelle de la Terre), et jusqu’à présent seuls les scientifiques y avaient eu accès.

Ici l’eau y est abondante mais souterraine. Lors de la grande migration, les hommes de science ont trouvé un système pour pomper le précieux liquide jusqu’à la surface mais il est réservé à la survie des êtres vivants et à la culture de leur nourriture.

Les animaux sont rares. Différentes espèces ont été elles aussi transportées vers notre nouvelle demeure. Hélas, peu ont survécu et leur reproduction est compliquée. Il paraît que nos ancêtres les élevaient pour les manger… j’ai du mal à l’imaginer !

Les plantes sont cultivées à des fins alimentaires et médicinales dans des serres. Lorsqu’il pleut – cela arrive peu – les toits s’ouvrent pour pouvoir récupérer cette pluie miraculeuse indispensable à la croissance. Des cuves sont elles aussi disposées çà et là pour la stocker autant que possible pour compléter l’arrosage artificiel. Certes, l’eau souterraine est abondante, mais pour combien de temps encore? L’histoire de la terre nous a appris que rien n’est éternel.

Notre éducateur d’histoire antique nous avait montré lors d’une visite au musée d’histoire naturelle intergalactique, une représentation de cette planète avant l’exode. On l’appelait la planète bleue car il y a avait plus d’eau que de terre. Cela est difficile à croire quand on voit la photo prise récemment par la dernière expédition : un caillou avec une tache bleue perdue dans l’immensité désertique. C’est cette tache qui est devenue réserve naturelle : deux millions de m² d’étendue d’eau abritant des espèces marines. Les espèces terrestres restantes se sont adaptées à boire de l’eau salée. Cela s’appelle l’évolution. Autrefois, cette étendue se mesurait en milliards de m², et par endroits elle pouvait être aussi douce que l’eau que nous buvons !

Il nous avait expliqué que le départ des humains avait été la conséquence de notre insouciance, notre avidité, notre cupidité face aux bienfaits de cette planète et que, malgré les nombreux signaux d’alerte, l’homme avait continué son travail de destruction massive entraînant le « massacre de la nature ». Les mots employés m’avaient provoqué des cauchemars pendant deux nuits.

Je suis impatiente de franchir le portail galactique. J’ai hâte de voir où nos ancêtres ont vécu, ce qu’ils ont gâché, ce que nous avons perdu.

Nous vivons sur une planète qui a bien voulu nous accueillir et nous avons conscience que ce qu’elle nous offre est précieux. Nous la respectons et la remercions tous les jours. Nous nous sommes adaptés à ce nouvel environnement. Ce fut difficile au début pour ceux qui avaient le souvenir des bienfaits offerts et repris. Ils en étaient les gardiens et ont agi en côlons (nous n’utilisons plus ce terme impropre à notre mode de pensée car nous vivons en harmonie dans le respect de tout ce qui nous entoure). La terre s’est rebellée et a provoqué des cataclysmes en chaîne obligeant l’homme à partir car ils n’avaient pas respecté le contrat : être vivant parmi les vivants, tout simplement. Il s’est proclamé supérieur à tous et les a soumis à sa dictature : « la nature fut ainsi dénaturée ». Cette phrase m’avait donné des frissons.

« Rien n’arrive par hasard » m’avait dit un jour ma grand-mère. « Tout est une leçon que nous devons apprendre, comprendre et surtout accepter ».

C’est à cet instant que je décidai d’être une exploratrice. Le serai-je réellement un jour ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, à l’aube du grand voyage, je crois que ma mission est de transmettre ce que je verrai et apprendrai, pour que ce qui s’est passé sur la Terre n’arrive plus jamais, ni ici, ni ailleurs.

Oui, bientôt l’ouverture de la réserve nous montrera que la vie est précieuse et fragile, que nous devons en prendre soin en agissant, non pas en égoïste, mais en pensant au bien-être des générations futures si l’on ne veut pas provoquer une autre migration.

Je pense que nous l’avons compris, nous, enfants du bicentenaire. A nous maintenant de ne pas l’oublier et de transmettre cette mémoire d’un temps passé toujours et à jamais d’actualité.

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