Quelle drôle d’adresse ! « Maison Bisounours, Allée Arc-en-Ciel » ! Et ce GPS qui ne cesse de répéter « faites demi-tour dès que possible », « nouveau calcul de la route »… L’envie était forte de le balancer par la vitre mais elle aurait dû rendre des comptes en ramenant la voiture. Mieux valait ne pas contrarier le « big boss » surtout avec ce surcroît de travail en cette période de crise. Elle ne s’était jamais perdue auparavant – un comble dans son métier – alors pourquoi avoir branché cet appareil plutôt que se fier à son sens de l’orientation ? Oui elle avait un sens de l’orientation très développé, n’en déplaise à ces messieurs, mais on ne peut pas dire qu’on l’avait aidé. En lui disant : « ça ne peut pas attendre, c’est une question de minutes » son patron, non seulement lui avait mis la pression, mais l’avait également privée d’un week-end de détente dans l’Himalaya. Là-bas au moins, pas de réseau, donc pas d’appel, pas de routes à sillonner. Mais c’était sans compter son radar ultra sensible qui lui permettait de la repérer et la contacter n’importe-où.
Elle regarda de nouveau l’adresse avec l’impression qu’on lui faisait une blague ; non, ce n’était pas son genre… quoique… une fois il l’avait envoyée chercher quelqu’un qui avait annulé son voyage au dernier moment pour finalement l’effectuer une semaine plus tard. Comme si elle n’avait que ça à faire ! Elle avait un grand secteur à s’occuper et c’était un travail à plein temps, vingt-quatre heure sur vingt-quatre. Quand dormait-elle ? Jamais ! Des micro-siestes. Elle avait cette capacité à dormir en marchant. Elle avait cette chance extraordinaire de ne jamais être fatiguée. Pas de fatigue, pas de sommeil, pas de perte de temps – même s’il était un facteur important dans sa charge, il n’en restait pas moins une notion abstraite à ses yeux. Un bruit sec interrompit ses pensées. Une fumée blanche s’échappa du capot du véhicule qui se mit à tousser avant de s’arrêter net.
Il ne manquait plus que ça !
Interloquée, elle regarda où la voiture l’avait stoppée : des champs de blé à perte de vue. Elle pesta. Elle allait devoir marcher pendant des heures sous un soleil de plomb. Des vêtements noirs ce n’était pas l’idéal dans une telle situation ; heureusement , elle ne craignait pas la chaleur !
Dans un soupir fataliste elle ouvrit la portière, débloqua ses longues jambes avant de sortir, récupéra dans le coffre son outil de travail, « sa tendre amie » comme elle l’appelait affectueusement, étira son manche rétractable, mit sa longue cape à capuche et regarda l’horizon. Et si je coupais à travers champ ? Pensa-t-elle.
Elle jeta un dernier coup d’œil à son téléphone portable avant de le ranger dans la poche de sa cape. Certes il fallait vivre avec son époque, mais rien ne valait l’instinct. Se fier à son instinct, c’est ce qu’on lui avait toujours appris. Elle huma l’air – car elle pouvait la sentir à mille lieux – puis décida de se mettre en marche. Oui elle la sentait bien, plein sud. Et tel un berger à la recherche de son troupeau une canne à la main, elle rabattit la capuche de sa cape sur son visage et s’approcha du champ. Les épis de blés s’écartèrent à son approche, non par peur mais par respect, car la grande dame n’était pas une ennemie – loin de là – plutôt un chauffeur, un guide vers une aire de repos avant de prendre une autre route. D’ailleurs les personnes dont elle avait la charge le savaient bien. Toute inquiétude s’envolait à son approche. Son aspect, loin de les repousser, était la promesse d’une paix bien méritée.
Elle jeta un dernier regard à la voiture abandonnée sur le bas-côté avant de pénétrer dans le champ de céréales . Une dame en noir, une faux à la main, dans un champ de blé : le cliché la fit sourire. Puis elle se mit en route d’un pas décidé car la mort n’attend pas… même si elle n’est jamais pressée.
me suis faite avoir! je ne m’attendais pas à ça!! Elle est presque sympa…la Mort!! voilà une idée originale!! Bravo!
N’est-ce pas? Tu n’es pas la seule. Merci. Bisous