MEURTRE DANS LA BASSE-COUR

(Histoire racontée par la voisine – le fermier – la poule – l’assassin)

La voisine :

« J’ai tout vu, monsieur l’agent, c’était horrible ! Une vraie boucherie ! Il s’est jeté sur lui, comme ça, sans raison, enfin… il avait chanté comme à son habitude, bien sûr très tôt, ça peut énerver à la longue, mais quand même ! D’accord peut-être que c’était un peu plus fort et un peu plus tôt ce matin-là, mais est-ce que ça justifie une telle barbarie ?

Qu’est-ce que je faisais là justement si tôt le matin ? Une promenade. J’aime beaucoup marcher au son du coq. Si mon mari le sait ? Je ne vois pas le rapport. Et puis ce qui est important c’est que j’ai vu l’assassin. Oui. Il s’est faufilé sournoisement dans l’enclos alors que les poules dormaient encore et puis il a bondit sur le pauvre Mathurin qui n’avait aucune chance – je l’entends encore dans mes rêves s’égosiller pour appeler à l’aide. Un carnage. Les plumes volaient dans tous les sens. Je n’ose pas vous décrire la scène. Vous pouvez aisément l’imaginer. Un si beau coq qui faisait la fierté de son maître ! Il ne méritait pas ça… mais non, je parle du fermier ! »

Le fermier :

« Oui monsieur l’agent, c’est comme je vous le dis. Je buvais mon café, tranquillement, au son de Mathurin lorsque j’ai failli m’étrangler. J’ai pensé Il est fou, qu’est-ce qu’il me chante là ! On aurait dit un coq enroué. Nous voilà bien, un coq avec une extinction de voix, me suis-je dit, et comment il va féconder les œufs ? Mes poules ne vont jamais se laisser faire s’il chante comme une casserole. Parfaitement monsieur l’agent, les poules elles ont besoin d’être charmées, séduites pour faire de beaux poussins, alors un coq aphone, ça va pas le faire !

Je suis sorti voir ce qu’il avait et je l’ai vu, gisant devant le poulailler, plein de sang, presque entièrement déplumé. Quelqu’un était passé sous le grillage pour venir tuer mon magnifique coq de Lafayette. Je n’ai pas vu qui est le responsable mais c’était pour me nuire, ça c’est sûr. Je faisais des envieux avec Mathurin pensez-donc ! Ah c’est qu’il était hardi le coq, le meilleur reproducteur du comté ! Vous allez l’attraper celui qui a fait ça, car sinon, c’est moi qui m’en charge et ce ne sera pas beau à voir, je vous le garantis ! »

Une poule :

« Oh mon Dieu, qu’allons-nous devenir les filles ? Notre mâle, notre magnifique Mathurin a été assassiné ! J’ai tout vu. Euh… qu’est-ce que je faisais dehors à une heure si matinale ? Eh bien… bon d’accord, je l’avoue, je voulais passer un moment toute seule avec lui. Oh pas la peine de caqueter si fort ! Vous auriez fait la même chose, si vous en aviez eu l’occasion. En tout cas j’ai tout vu… ou presque, car l’assassin était déjà parti. Mais j’ai vu toute l’horreur de son acte. Mes sœurs, notre pauvre coq, le plus beau, le plus charmant, le plus ardant, fier comme Artaban, nous ne le verrons plus jamais. Il avait la gorge déchiquetée, les plumes arrachées, la langue pendante, les yeux exorbités. Je ne pourrai jamais effacer cette vision apocalyptique de mes yeux. Oui, là vous avez raison de caqueter car l’heure est grave. Nous allons vivre une période difficile, car je me demande bien qui va être choisi pour le remplacer ! Nous savons ce que nous avons perdu, pas ce que nous allons gagner. »

L’assassin :

« Vous m’avez eu, j’avoue tout. A ma décharge je dirais que c’était sa faute et je ne pouvais pas faire autrement. C’est vrai, tous les matins c’était la même rengaine. Au lever du soleil : Paf ! Il chantait. A la longue, ça devait arriver. Pourtant j’ai résisté vous savez – un peu – et puis je l’ai vu là, planté sur ses ergots, la crête flamboyante, le plumage luisant. Ah il était fier ! Il me narguait. Si, si, c’était de la provocation. Cocorico par-ci, cocorico par-là. C’en était trop. Il fallait que ça cesse. Il en allait de ma santé, vous comprenez ? Alors, lorsque j’ai aperçu la brèche dans le grillage, mon sang n’a fait qu’un tour. C’était un signe pour agir. Je me suis faufilé dessous, j’ai rampé jusqu’à lui. Ce fut facile, il me tournait le dos cet idiot ! A chanter à tue-tête, il ne pouvait rien entendre. Et je l’ai choppé. Ce fut rapide, mais quel bonheur ce sang giclant de sa carotide, ses ailes s’agitant dans tous les sens, son bec ouvert criant grâce. Non il n’était plus temps pour la pitié. En avais-je jamais eu ? N’ai-je pas eu peur qu’on me voit ? Si la voisine n’était pas sortie en catimini de chez le fermier pour rejoindre son mari, ce serait passé comme une lettre à la poste, car vous savez monsieur l’agent, je suis rusé, dit le renard mettant ainsi fin, par ses aveux, au mystère de la mort de Mathurin. »

2 réflexions sur « MEURTRE DANS LA BASSE-COUR »

  1. Très chouette cette façon de faire intervenir les différents protagonistes!! Un régal d’enquête…bucolique…Cocorico!!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *