Les photos me replongèrent en enfance, à l’âge où l’insouciance est de mise.
Je n’avais aucune idée, en aménageant dans le quartier, des bouleversements que cela allait engendrer. En achetant la maison, mes parents l’avaient appelée « leur petit nid d’amour », et j’étais leur oisillon chéri.
Je me souviens très bien de ce jour où nous avions investi les murs. Le soleil diffusait des rayons d’une chaleur incandescente. « Ce sera un mois de juillet caniculaire », avait lancé mon père avant d’ajouter « heureusement la mer n’est pas loin » avec un sourire complice.
Je n’étais plus vraiment une enfant. A 15 ans on se veut déjà grand – un adulte en puissance – et être traité comme tel. C’est l’âge de la rébellion – c’est ce que disent les parents – moi je dirais l’éveil de l’individualité. C’est la période où souffle le vent d’une renaissance, une tornade qui bouillonne et explose parfois tel un geyser. C’est la découverte que tout n’est pas juste, plutôt même souvent injuste, surtout concernant sa liberté d’action.
C’était le début de l’été et sans le savoir celui de mes premiers émois. Il était beau, il était blond, il s’appelait Justin : c’était le fils du voisin.
Je ne saurais décrire ce que je ressentis en le voyant. Il tondait le gazon en short et sur la tête une casquette à l’effigie d’une équipe de base-ball américaine – aujourd’hui on dirait « vintage ».
Il ne faisait rien d’extraordinaire mais je fus aussitôt hypnotisée par son torse-nu en sueur et les muscles saillants de ses bras poussant la tondeuse.
Je ne sais pas combien de temps je restai à le regarder ainsi et sursautai en entendant la voix de mon père derrière moi.
« Bonjour » lança-t-il au voisin. Ce dernier lui répondit par un signe de la main et un autre à l’attention de son fils pour lui faire arrêter l’engin.
C’est alors que nos regards se croisèrent et ce fut comme une explosion en cascade de toutes les cellules de mon corps. Mon cœur s’emballa à tout rompre. Lorsqu’il ôta sa casquette pour remettre ses cheveux en arrière d’un geste qui me sembla au ralenti, ce fut un déferlement de frissons qui m’envahit de la tête aux pieds.
Pour retrouver la paix intérieure il suffisait d’un pas, un pas en arrière, mais mon père, inconscient de ce que je traversais, me poussa au contraire légèrement vers la clôture pour nous présenter.
Je n’entendis rien d’autre que son prénom, Justin, et ce fut pour moi le plus extraordinaire des prénoms jamais entendus ! Il avait 16 ans et très vite je me rendis compte du chamboulement qui venait de s’opérer en moi.
Après la promesse de faire un apéritif rapidement, je passai ma première nuit dans ma nouvelle chambre un sourire béat sur les lèvres. C’était donc ça le bonheur ? Pensais-je naïvement. Je m’endormis avec la certitude que quoi qu’il arrive, rien ne pourrait entacher ce sentiment de félicité.
Tous les jours suivants, je me mis à jouer les espionnes et le guettai à moitié cachée derrière une haie guère très haute. Lorsque lui me voyait, j’avais droit à un petit signe de politesse, parfois un « salut », rien de plus. Pas de nom. Jamais de nom. Je n’attendais pourtant que ça : entendre mon nom sortir de sa bouche. L’entendre le prononcer d’un souffle grave et chaud. Mon imagination galopante éveillait mes sens, envahissait mes rêves. Adieu harmonie cellulaire ; il n’y avait plus que du magma dans mes veines, mes organes, provoquant des sueurs nocturnes.
Je n’avais pas encore d’amies. Elles étaient restées dans le nord. Il n’y avait donc personne pour m’accompagner au cinéma, à la plage, faire les boutiques, en dehors de ma mère. Cela devenait étouffant et ce n’était que le début de l’été. Étrangement, je me surpris à désirer ardemment la rentrée lycéenne.
C’est alors que le fameux apéritif eut lieu. Un vent de panique m’envahit et j’étalai sur mon lit tous mes vêtements d’été. C’est tout! pensai-je catastrophée. Je n’avais que ça à me mettre ? Je ne pouvais pas me montrer dans ces guenilles ! Tant pis je dirai que j’ai mal au ventre – ce qui n’était pas faux cela dit – et que ce sera pour une prochaine fois.
Puis ma mère entra dans ma chambre amusée à la vue de ce chantier à l’image de ma détresse.
« Demain nous irons faire les magasins » lança-t-elle d’une voix douce. Elle toucha un caraco et un short avec un hochement de tête en ajoutant « j’ai besoin de ton aide avant leur arrivée ». Puis elle sortit doucement, tous simplement. Je l’admirais pour ça. Elle avait toujours su dire ou faire les choses comme ça « l’air de rien ». Oui je l’admirais et j’espérais qu’en grandissant j’arriverais à atteindre ce sentiment de plénitude qu’elle affichait en toutes circonstances.
Lorsque j’apportai le plat de toasts sur la terrasse vêtue des vêtements qu’elle avait effleurés, les invités étaient déjà là. Je ne vis que lui. Son « salut ! » me fit monter le rouge aux joues et je me réfugiai dans la maison sous le prétexte d’aller chercher un autre plat. Sans réaliser que j’étais en apnée, je soufflai bruyamment avant de me passer de l’eau sur le visage.
« Où sont les toilettes ? ». La question me surprit en pleine aspersion. Le visage et les cheveux trempés n’étaient vraiment pas à mon avantage. Je m’attendais à une moquerie mais il n’en fit rien.
« Il paraît qu’on n’a pas eu de juillet aussi chaud depuis des lustres » ajouta-t-il comme pour justifier mon état. « C’est mon père qui le dit ». Je ne sus faire qu’un oui de la tête avant de lui indiquer le chemin. Quelle cruche ! Je n’avais qu’une envie, celle de creuser un trou et m’y enterrer pour disparaître.
Les conversations me semblèrent banales, ennuyeuses et je passai mon temps à observer à la dérobée Justin qui répondais par monosyllabes aux questions de mes parents. Le seul son de sa voix me suffisait.
Soudain, quelque chose d’extraordinaire se produisit.
« Demain je retrouve des copains à la plage. Ça te dit de venir… Laura ? »
Je faillis m’étrangler. Il venait de dire mon nom. Il connaissait mon nom… et il le prononçait si bien ! Je n’étais donc pas la simple fille des voisins. Je n’étais pas transparente, anonyme. J’étais moi, Laura, 15 ans, bientôt 16. J’allais me faire de nouveaux amis et vivre une histoire extraordinaire !
Ma mère répondit à ma place : « Pas de problème Justin, tu n’auras qu’à me dire l’heure et je la déposerai. D’accord Laura ? »
Tout se décida ainsi sans que je n’aie eu qu’un « ok » à prononcer.
La soirée se déroula ensuite comme sur un nuage. Un dialogue s’était établi entre lui et moi – un dialogue de jeunes – et cela suffit à bercer mon sommeil. C’est donc ça l’amour ? fut ma dernière pensée avant de m’endormir, et le sentiment que le soleil se lèverait le lendemain avec la promesse d’une journée riche en émotion.
En regardant l’album de famille je souris en repensant à ces moments qui m’attendrissent toujours autant aujourd’hui.
Un baiser dans le cou vint interrompre mes pensées.
« Encore plongée dans les souvenirs ?
— J’aime regarder les vieilles photos. Elles me rappellent les défis que j’ai relevés.
— Et moi, je fais partie de ces défis ? »
Je regardai l’homme qui me taquinait gentiment, comme souvent sur ma sentimentalité.
« Bien sûr. Tu étais même le premier Justin ».
Je l’embrassai tendrement en refermant l’album photos.
« Mais sans doute pas le plus difficile », ajoutais-je.
Justin me regarda, les yeux pétillants.
« Oui mais là c’est un défi commun que nous relèverons ensemble », précisa-t-il en caressant mon ventre rond avant d’y déposer une main protectrice.
J’aime beaucoup. tout en douceur et simplicité sur les premiers émois de l’adolescence. et puis tu avais promis une histoire qui se finit bien et tu as relevé le défi haut la main!!
Merci, une histoire qui m’a surprise au débout, et puis tout a une signification en y réfléchissant