VOYAGES DANS LE TEMPS Suite

Je ne sais pas depuis combien de jours je suis dans cette autre vie. Je ne comprends toujours pas ce que je fais là et ne sais quand ni comment repartir dans ma réalité. Ceci ne peut pas être réel. Pourtant je tamise l’eau à la recherche d’une pépite – cela me semble très réel et la technique si familière.

Mon mari enterré – ce mot « mari » résonne étrangement dans ma tête – j’ai repris le flambeau comme un devoir de mémoire. De toute façon je ne sais pas quoi faire d’autre et ne peux que vivre, subir, le moment présent. Alors je tamise, encore et encore. Et puis je les vois : le caillou doré d’abord – je souris malgré moi car j’ai trouvé, j’ai réussi – puis l’indien, celui qui avait attiré mon regard à mon arrivée. Il me paraît loin mais la distance de même que le temps pour moi sont subjectifs. Il s’avance sur son Appaloosa. Le cheval est aussi magnifique que son cavalier est fier.

L’indien n’est pas seul. Mon cœur bondit dans la poitrine, à la fois de peur et d’excitation. Il avance un autre cheval et me fait signe de monter. Je n’ai jamais monté à cheval. J’hésite mais son regard et son fusil m’incitent à obéir. Je tente donc l’expérience en sachant qu’il faut monter à gauche et non à droite. Contre toute attente je réussis et m’étonne moi-même. La caravane se met en route sous les cris des hommes et femmes du campement qui me voient prisonnière des sauvages. J’entends un échange de tirs puis mon cheval se met au galop. Étrange, je n’ai plus peur. Je sens dans mes cheveux un vent de liberté. Peut-être vais-je vers de terribles souffrances. J’ai lu dans les livres d’histoire que les femmes blanches devenaient épouses et/ou esclaves de certaines tribus, mais je suis sans crainte ce « nez-percé » – ça aussi je le sais tout simplement – vers une destination inconnue. Nous remontons la chaîne de montagnes pour rejoindre leur campement ; un long voyage qui a duré plusieurs jours avec des nuits à dormir à la belle étoile. Mon inquiétude étrangement s’est envolée à l’exception de celle des bêtes rampantes et des hululements des coyotes. Pourtant je me sens protégée.

Je découvre enfin le campement des nez-percés. Je suis épuisée, cependant sa vue me fait l’effet d’un électrochoc et manque me faire tomber de cheval. J’ai la sensation d’être dans un de mes rêves. Alors c’est donc ça. Je suis en train de rêver. La déception se lit sur mon visage et l’indien qui me fait descendre l’interprète mal. Il me fustige du regard en me serrant la taille. Des picotements me parcourent le ventre mais je n’ai pas le temps de m’interroger. Il me saisit rudement le poignet, se dirige vers un tipi, soulève un pan de la tente, me pousse à l’intérieur et me fait tomber aux pieds d’un vieil homme. Je comprends au ton de sa voix qu’il le sermonne pour sa rudesse avant de nous inviter tous les deux à nous asseoir. Chose incroyable, je comprends son langage.

« N’aies pas peur ma fille, me dit le vieil homme ».

Je n’ai pas peur, est ma réponse instinctive, comme une évidence.

« Tu te demandes ce que tu fais là,

— Pour être votre esclave ? »

Le sage rit de bon cœur tandis que je sens la rage contenue de mon ravisseur.

« Nous ne faisons pas ça.

— Alors qu’est-ce que je fais là ? »

Ce que le jeune aurait pu prendre pour de l’effronterie, le vieux s’en amuse et lui dit « elle est bien celle que l’on m’a décrite » ce qui ne semble pas du goût du guerrier. Il reprend :

«  Les esprits m’ont annoncé ta venue. Une femme animée de l’esprit du Grizzly qui traverserait les montagnes à la découverte de sa mission.

— Une mission ? quelle mission ? »

Je ne peux m’empêcher de ricaner.

« C’est à toi de le découvrir.

— Les esprits ne vous l’ont pas dit ? »

Je sens l’indien prêt à bondir pour faire taire mon insolence mais le sage lui fait signe de rester assis.

« Les esprits ne sont pas là pour nous dire ce que nous devons faire mais pour nous guider afin de nous rappeler à trouver la voie.

— Se rappeler ?

— Que crois-tu faire ici ?

— Justement c’est la question que je me pose, dis-je en haussant les épaules.

— Alors c’est que ton chemin sera plus long que prévu avant d’arriver.

— C’est tout ? Tout ça pour ça ?

— Tout te sera révélé en temps voulu.

— Mais comment je fais pour rentrer chez moi ? J’ai un chez moi ailleurs…

— Libère ton esprit, brise les murs. Cherche au fond de toi. Ouvre ton cœur et les yeux s’ouvriront. La vie est une succession de leçons. Libre à toi que chacune d’elles te soit acquise et salutaire pour la suivante. »

Il voit mon étonnement.

« Les esprits me disent que tu veux comprendre ce que tu te refuses à croire.

— Si je comprends bien je suis dans une vie passée.

— « Comprendre », encore ! Tu es dans une expérience non acquise que tu as répétée dans la suivante et…

— Ridicule ! Et pourquoi lui là, me regarde méchamment ? »

Le vieil indien sourit.

« Parce que les esprits lui ont dit que tu étais sa mission, sa leçon.

— Je comprends mieux. Je ne suis pas un cadeau.

— Au contraire. Tu es envoyée pour lui offrir une chance de vivre son expérience. Il doit l’accueillir pour la vivre… il ne sait pas encore laquelle. Vous êtes touts les deux liés pour vous aider, vous faire grandir. C’est ainsi.

— Donc si je comprends bien – le vieux sourit encore – je ne rentrerai pas chez moi tant que je n’aurai pas vécue mon expérience. »

Il hoche la tête.

« Tant que tu ne l’auras pas transcendée. Mais tu te trompes. Tu es chez toi. Partout où tu iras, tu seras chez toi. Car tu seras exactement là où tu dois être.

— Mais ça peut prendre des années !

— Une vie, peut-être plus. »

Je commence à m’angoisser.

« Pourquoi dois-je revivre ce que j’ai vécu ?

— Et pourquoi cette vie-là serait ton passé ? Pourquoi n’est-ce pas l’autre qui serait ton futur ? »

Je sens son sourire moqueur et ça me met en colère. Je bondis sur mes pieds pour sortir mais le jeune me barre la route et me fait signe de me rasseoir.

Je m’apprête à l’injurier lorsque des coups de feu se font entendre. Le camp se fait attaquer, probablement pour venir me délivrer. Le sage lui dit de m’amener loin mais lui, le valeureux guerrier des nez-percés, veut se battre.

« Pars, emmène-la, un autre combat vous attend ailleurs tous les deux. Une autre vie vous attend, celle-ci ne vous apportera plus rien car elle va s’achever. »

Je suis de nouveau saisie avec force par le poignet et propulsée sur le dos du cheval derrière son cavalier. Instinctivement je m’accroche à lui. Je sens alors sa force me pénétrer et je n’ai plus peur. Il est si bon de ne pas avoir peur. J’ai l’impression d’être dans un roman « Harlequin »… Il y aura donc un happy end. ?

Cependant une phrase trotte dans ma tête « Cette vie ne vous apportera plus rien car elle va s’achever ». Dois-je comprendre que nous allons mourir ?

A cet instant je ressens quelque chose me transpercer le dos. Je cris, je sombre. Le titre d’un roman d’Agatha Christie « la mort n’est pas une fin » résonne dans ma tête et cela m’apparaît comme une certitude avant de perdre connaissance.

Mon réveil est brutal. Je me retrouve dans un train. Un homme lit et je suis soulagée car je le retrouve lui, celui qui lisait le journal en me rendant à mon travail. Je soupire de soulagement bruyamment, ce qui le fait me regarder en fronçant les sourcils. Son visage pourtant me semble différent. C’est alors que je le remarque. Le livre. « La mort n’est pas une fin ». Ce n’est pas le journal de 2019 mais un roman de 1944, car je réalise en regardant autour de moi que je ne suis pas en France. J’ai fait un bon en avant certes, mais pas assez grand. Mon reflet dans le miroir est celui d’une femme en uniforme de l’armée américaine, celui de pilote plus exactement : je me retrouve en pleine seconde guerre mondiale, et apparemment j’y ai eu un rôle actif !

A suivre

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