Quand j‘étais petite, je rêvais d’aventures, de découvertes en tous genres – pas scientifiques, ça je sus très vite que ce ne serait pas ma branche. Je ne serais pas à l’origine de grandes formules chimiques qui changeraient le monde de la médecine, ni dans le domaine de la physique et encore moins quantique. Non je rêvais d’aventures, la vraie, celle des pirates et leurs trésors, des archéologues et leurs pyramides, des paléontologues et leurs dinosaures, celles où l’on voyage, découvre de nouvelle terres, des personnages incroyables, des pièges à déjouer et la victoire au bout du chemin… mais il fallait se rendre à l’évidence : cet univers là n’était pas pour moi !
Bien sûr me direz-vous on découvre encore aujourd’hui des dinosaures, des mètres de mosaïque à Pompéi, une salle dans un tombeau égyptien encore intacte, une dent de dinosaure inconnu, un morceau de vase en terre cuite de l’époque romaine.
Je pensais pourtant en grandissant que les seules découverte possibles aujourd’hui – entendez par là intéressantes – se trouvaient dans l’espace : étoiles, exoplanètes, galaxies, intelligence extra-terrestre. Oui la recherche spatiale avait de beaux jours devant elle et j’aurais aimé en faire partie.
Mais je dus me contenter de la seule manière que j’avais à portée de main pour vivre ce genre d’aventures : les livres. Je plongeai donc dans toutes sortes de romans. Les premiers à me faire voyager furent ceux d’Agatha Christie : Égypte, Mésopotamie, Jordanie… même l’Angleterre, certes moins exotique, mais tout de même riche en lieux magiques.
Cependant, le plus gratifiant, il faut bien l’avouer, était de les imaginer et cela pourrait commencer ainsi : « et si mes parents n’étaient pas mes parents ?… »
Je m’appelle Véronique, j’ai 13 ans et j’ai fait une découverte qui bouleversera ma vie.
J’ai toujours aimé fureter partout. Je profitais que ma mère s’installe sous le parasol dans le jardin pour ouvrir les tiroirs de sa chambre. Bien sûr tout était remis soigneusement à sa place pour qu’elle ne se doute de rien ; j’étais très douée.
Claude François vient de mourir. Là n’est pas ma grande découverte, je vous rassure, ni même le fait que ma mère en était amoureuse en secret, pleurant toutes les larmes de son corps. Non c’est lorsqu’un jour elle me laissa seule à la maison pour aller chez le coiffeur, qu’à mon habitude je me mis à explorer son univers. Elle avait acheté tous les magazines concernant sa carrière, sa vie, sa mort, et les avait soigneusement rangés entre les draps dans son armoire. C’est en faisant tomber malencontreusement un de ces magazines – que je ramassais fébrilement en espérant qu’il ne soit pas endommagé sinon j’étais morte – que je trouvai une lettre gisant sur le sol. C’était un papier jauni mais bien conservé, à la manière d’un herbier. J’hésitai un long moment, cette feuille pliée en quatre entre mes mains, avant de me décider à la lire. La curiosité l’emporta – je rappelle que j’ai 13 ans – et c’est donc avec soin que je la dépliai, à la fois excitée et tout de même un peu inquiète de ce qu’elle pourrait révéler.
L’écriture était soignée, déliée, avec des boucles harmonieuses. C’était une lettre d’amour magnifique, où la passion était suggérée à chaque phrase, le genre de lettre qu’un homme écrit à sa femme avant le mariage. Elle la conserve précieusement comme un trésor car elle sait qu’une fois mariée elle n’en aura pas d’autres. Elle lui rappellera les jours où l’amour naissant a fait place à l’amour rassurant et qu’il suffirait de peu pour le faire renaître. C’est ce qu’elle faisait sans doute dans ses rêves. C’était beau, attendrissant, d’imaginer son père écrire ainsi une lettre enflammée. Sauf qu’arrivée au bas de lettre, le choc : pas de signature, juste un « avec tout mon amour, à jamais ». C’est à cet instant que le doute s’insinua.
Ces mots doux ne pouvaient pas venir de lui. C’est un peu hébétée que je tentai de décrypter chaque mot de cette lettre. Pour en être sûre je cherchai un papier avec son écriture. Je devais faire attention car ma mère pouvait rentrer à tout moment et me découvrir furetant dans leurs affaires.
Je finis par trouver. Et ce que je prenais pour un conte de fée, vira au drame familial. Ma mère avait eu quelqu’un d’autre dans son cœur. Après la stupeur, vint la colère. Comment avait-elle osé ?
Je relus encore et encore, imaginant tout et n’importe quoi sur cette histoire, jusqu’à la tragédie : au vu de la date, elle était enceinte de moi à la réception de cette lettre. Il n’en fallut pas davantage pour être persuadée que je n’étais pas celle que je croyais. Si l’auteur n’était pas mon père, si elle avait eu un amant, je pouvais très bien être une enfant illégitime. Cela expliquait beaucoup de choses, car à bien y réfléchir je n’avais rien de commun avec mes parents dans quelque domaine que ce soit. Ils n’avaient aucune passion. Mon père ne pensait qu’à travailler laissant peu de place aux loisirs avec ses enfants. Je ne lui reproche rien car nécessité fait loi, mais voilà, il y avait cette lettre. Ma mère vivait dans un monde à part dans sa tête dont la porte était fermée à clé, elle-même jetée dans puits sans fond. Elle paraissait froide ou vide. Je pense que c’était plutôt vide, vide d’intérêt, de but, mais un désir secret alimenté par quelques mots écrits, rappel de moments d’amour partagé.
Quand on est une fille on défend son père, c’est bien connu, et en pleine adolescence je ne faisais pas exception à la règle avec des sentiments exacerbés : je me mis à haïr cette femme qui avait osé faire « ça » à un homme si bon et dont le seul but dans cette vie était de nous apporter confort et sécurité.
J’imaginai alors le pire, m’enfuir loin, le plus loin possible de ce foyer où je ne me reconnaissais plus. Fuir ces mensonges d’un amour de mascarade et recommencer ailleurs ce qui ne pourrait être que meilleur, dans une autre ville, un autre pays, un autre monde, un autre univers…
La porte d’entrée s’ouvrit soudain et c’est en sursautant que je rangeai la preuve de mon infortune.
Vous vous doutez bien qu’elle ne mit pas longtemps à découvrir mon forfait. J’affrontai courageusement cette femme qui pour moi n’avait plus rien d’une mère, prête à lui cracher mes reproches au visage.
Face à moi, le papier dans des mains tremblantes, je la vis alors sourire, un sourire d’amour qui me donna envie de hurler car il était évident, à la voir, qu’elle aimait encore profondément cet homme.
Elle s’assit lentement sans rien dire et m’invita d’un geste à en faire autant. Ce que je ne fis pas, bien évidemment, car je voulais rester debout en position de force. Elle ne se départit pas de son sourire que j’aurais volontiers voulu effacer au vitriol.
« Je me souviens de cette lettre, me dit-elle d’une voix douce que je ne lui connaissais pas. C’était pendant l’été 65. Je n’avais pas eu de nouvelles depuis un long moment ; ça ne lui ressemblait pas et j’étais très inquiète. J’étais dans un pays étranger, seule avec déjà deux enfants. Je n’ai jamais été très douée pour me lier avec les gens et ils me le rendaient bien. J’ai goutté à leur méchanceté, leur mépris, leur indifférence. Ta grand-mère me disait toujours que j’étais sotte, que je n’arriverais à rien, et à la longue j’avais fini par la croire. Et puis j’ai fini par recevoir ce courrier. Mon cœur a explosé de joie mais n’en laissai rien paraître. On m’avait appris à ne rien exprimer et j’excellais dans ce domaine. Mais il était en vie. C’était le plus important. J’ai lu sa lettre des milliers de fois, et lorsque je m’endormais après l’avoir mise sous mon oreiller, je savais que je passerais une bonne nuit car il me reviendrai bientôt. »
Mon regard n’était que mépris mais elle ne sembla pas s’en rendre compte. Elle continua comme si elle pensait à voix haute.
« Avant lui je n’étais rien. Ma vie se résumait à être « soit belle et tais-toi ». Je n’étais bonne qu’à me marier et faire des enfants. Et même là je n’ai pas réussi car je n’ai pas eu de garçon. On me l’a reproché souvent. Quand il est entré dans ma vie quelque chose cependant a changé, lentement, insidieusement. Je sus que mon existence n’était pas si inutile qu’on voulait bien me le faire croire, que j’avais un rôle à jouer quelque part, quel qu’il soit. Je sais que je ne suis pas la mère dont tu rêves. Je suis désolée, je ne sais pas être autrement. Mon amour est pourtant bien là, à l’intérieur mais il n’arrive pas à sortir. Ton père en a été la première victime. Pourtant, je l’aime à ma façon. Et sa lettre…
— Sa lettre ? »
Elle sembla se réveiller et me regarda étonnée.
« Oui sa lettre. Il l’a faite écrire par une infirmière alors qu’il était à l’hôpital, cloué au lit suite à un accident de voiture. Il avait perdu l’usage de sa main droite. Alors en mission à l’étranger, il n’avait pas pu communiquer avant ça. »
C’est là que je m’assis, assommée par le poids de ma suspicion.
« Je sais c’est ridicule de garder une telle lettre mais vois-tu ces mots ont été pour moi une telle bouffée d’air frais dans ma vie renfermée, que je ne peux me résoudre à la jeter. Je n’ai jamais plus eu de lettre de ce genre. Ton père est un homme pudique. Ces choses là pour lui ne se disent que lorsque l’on croit sa dernière heure arrivée. Ce fut le cas ce jour là. Alors, vois-tu, elle est là, à portée de main et cela suffit à mon bonheur. »
Je regardai cette femme longuement, cette inconnue, et fis une chose que je n’avais jamais faite auparavant, seulement dans mes rêves. Je vins me blottir dans ses bras. Elle ne pleura pas. Ça non plus elle n’avait pas appris. Alors je pleurai pour deux.
Mon aventure venait de tourner court. Ma vie ne fut pas bouleversée comme je l’avais imaginé par une trahison ou un secret dévoilé. J’étais bien l’enfant de mes parents et j’allais devoir vivre avec cette réalité. Mais ce que j’en ferais par la suite serait de mon fait. Je compris plus tard que mon avenir dépendrait de mon aptitude à aller chercher mes réponses au-delà des apparences et de vivre chaque jour comme la plus passionnante des aventures. Ce n’est pas facile mais j’y travaille. Ceci dit, je continue à lire… énormément !
Belle invention. On pourrait y croire… le pouvoir des mots sans doute!!!
Oui on pourrait…