Il était une fois une petite fille qui s’appelait Clara. Ses parents, ainsi que toute sa famille, la surnommaient Cookie car elle avait des boucles blondes comme les blés, des yeux marrons comme le chocolat et un cœur fondant comme du beurre tellement elle était gentille et sensible. De plus elle avait une vivacité d’esprit hors du commun pour son âge et tout le monde s’accordait à dire qu’elle « irait loin cette petite ».
Cependant cette vive intelligence et cette douceur extraordinaire masquaient une sensibilité qu’elle avait du mal à contrôler. Toutes les nuits, à la même heure, elle se réveillait en pleurs ; une angoisse que seuls les bras et les mots de sa maman arrivaient à apaiser. Pourquoi une telle peur ? Nul ne le savait. Et même si Cookie répétait inlassablement qu’elle avait peur tout simplement de se retrouver seule, aucun mot de réconfort, à la nuit tombée, n’était assez puissant pour empêcher les réveils nocturnes intempestifs. Ses parents ne savaient plus quoi faire.
Un jour – ou plutôt une nuit – Cookie se réveilla comme d’habitude aux alentours de trois heures. Sa respiration saccadée l’avertissait d’un grand danger. Elle devait voir sa maman ; sa vue, son odeur, sa douceur arriveraient certainement à l’apaiser. Elle se leva donc rapidement, les larmes au bord des yeux, et telle une automate, se dirigea vers la porte habituellement ouverte de sa chambre, éclairée par les veilleuses du couloir de séparation.
Mais quelle chose bien étrange ! Point de lumière dans le couloir. Son cœur se mit à battre plus rapidement. Non la porte était tout simplement fermée. Qui avait bien pu faire ça ? Sans lumière dans la chambre, elle n’aurait jamais pu s’endormir. Ce n’était pas normal… inconcevable ! Une mauvaise blague, mais de qui ? Qui pouvait être aussi cruel ? Être dans le noir était pour elle comme être perdue dans une immense forêt.
Par chance, un rayon de lune à travers le volet lui permit de distinguer l’encadrement de la porte. Elle se précipita pour l’ouvrir en appelant sa mère et stoppa net lorsqu’elle se trouva nez-à-nez avec un chêne centenaire. Cookie recula, effrayée, prête à se retourner pour s’enfermer dans sa chambre. Tant pis, la pénombre était préférable à cette vision cauchemardesque. Ça ne pouvait être que ça : un cauchemar. A trois heures elle se réveillerait comme d’habitude et tout reviendrait dans l’ordre. Seulement voilà, son lit, sa table de chevet, sa lampe phosphorescente, ses murs tapissés de tableaux, de dessins, de portraits d’elle avec ses parents et son petit frère, tout avait disparu, remplacé par d’autres arbres au milieu de fougères : sa chambre s’était transformée en une forêt luxuriante.
Elle se retourna de nouveau et recula de stupeur à tomber par terre en voyant que le chêne la regardait à son tour. Oui. Il avait des yeux qui la fixaient, étonnés.
« Est-ce moi qui te fais peur petite fille ? »
Cookie cria de plus belle au son de cette voix rocailleuse.
« Suis-je si laid et repoussant que tu te mettes à hurler ? Si tu continues tu vas réveiller les autres. »
L’idée que d’autres arbres puissent se mettre à parler la fit stopper net.
« Trop tard ! s’exclama le centenaire. »
En effet, Cookie vit derrière lui un arbre agiter ses branches et cligner des yeux.
« Qu’est-ce donc que ce vacarme à trois heures du matin ? Est-ce une heure pour réveiller les honnêtes feuillus travailleurs ? Qui a osé ?
-
Ouh là là, tu as réveillé Scrogneugneu, pauvre de nous !
-
Scrogneugneu ? ne put s’empêcher de demander Cookie intriguée malgré elle.
-
Oui, c’est le râleur de ces bois. Il a un sommeil très léger. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de bruit dans cette forêt. Car une fois réveillé, il passe son temps à grommeler, à râler après tout ce qui passe à sa portée. Et je t’assure qu’à la longue, on aurait presque envie de le couper !
-
Ne dis pas de bêtises, je ne grogne jamais. Je ne fais qu’exprimer mon mécontentement. Moi j’ai besoin de sommeil. Si je ne dors pas et bien je ne pourrai pas faire mon travail correctement et si je ne le fais pas, je ne serai pas heureux, et si je ne suis pas heureux je ne pourrai pas m’endormir…
-
Oui oui, on a compris Scrogneugneu. Je le sais, nous le savons mais elle, ne pouvait pas le savoir. »
Clara qui, comme tout le monde le savait, n’était pas la moitié d’une sotte, reprit ses esprits et questionna le grincheux. Oui car Cookie posait beaucoup de questions. A elle seule, elle posait l’équivalent de toutes les questions de tous les enfants de sa classe réunis en une seule journée… c’est pas peu dire !
« Un arbre ça ne travaille pas !
-
Que dis-tu là fillette ? nous travaillons chaque minute, chaque heure de chaque jour. Nous protégeons les animaux qui vivent ici, nous leur fournissons de quoi manger…
-
Les animaux ne mangent pas le bois !
-
Ils mangent nos fruits, nos glands, les champignons qui poussent sur nos troncs, ils s’abreuvent de notre sève. Ils respirent l’air que nous fabriquons. Et lorsque nos feuilles et nos branches tombent, ils les ramassent pour en faire des abris ou du feu pour se chauffer.
-
Les animaux ne savent pas faire du feu, fit remarquer Cookie.
-
Et que croyez-vous être ma petite ? »
Cookie, sans voix, regarda autour d’elle puis se remit à pleurer.
« Pourquoi pleures-tu ? lui demanda le patriarche.
-
Je veux ma maman.
-
Serais-tu malade ?
-
Non.
-
Tu as peut-être besoin d’aide pour faire pipi !
-
Non, je suis grande. Je sais faire pipi toute seule, rétorqua Cookie vexée.
-
Tu vas faire tes devoirs alors…
-
Pfuhh c’est déjà fait depuis longtemps !
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Tu vas préparer le petit-déjeuner…
-
Bah c’est trop tôt et puis c’est maman qui le fait.
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Tu vas faire le ménage…
-
Mais non ! dit Cookie qui commençait à s’énerver.
-
La lessive…
-
N’importe quoi ! rien de tout ça !
-
Alors pourquoi réclammes-tu ta maman, et toutes les nuits à trois heures du matin ?
-
Comment le savez-vous ?
-
Je sais tout ma petite. Alors ? »
Cookie réfléchit un instant avant de répondre.
« J’ai peur d’être toute seule,
-
Pourtant tu ne l’es pas.
-
Ben non.
-
Cependant tu vas le vérifier toutes les nuits…
-
Ben oui.
-
Je vois… ceci est un cas très intéressant…
-
Ah tu trouves ! fit Scrogneugneu agacé. Comme si elle avait besoin de le faire toutes les nuits !
-
Ne sois pas si ronchon, essayons plutôt de comprendre un peu ce qui se passe dans son cœur.
-
Dans mon cœur ? demanda Cookie. Mon cœur va bien.
-
Oh… moi je crois qu’il est malade au contraire.
-
Mais non je vous dis. Vous ne comprenez rien. Vous n’êtes qu’un arbre vieux et moche et qui n’existe que dans mon rêve. »
Scrogneugneu s’agitât à en faire tomber ses feuilles.
« Quelle impertinente ! Nous traiter de vieux et moches alors que c’est elle qui est venue nous déranger dans notre sommeil !
-
Calme-toi un peu, dit le vieil arbre sage. Elle ne voulait pas nous embêter, n’est-ce pas ?
-
J’ai rien demandé moi. Je voulais juste ma maman…
-
Et on va la retrouver… on parlait de ton cœur malade.
-
Il n’est pas malade ! Cria Cookie.
-
Pas la peine de te mettre en colère. Tu dis que tu as peur d’être seule : pourquoi ? »
Cookie haussa les épaules.
«Je sais pas moi, on pourrait me prendre et m’amener loin, loin de mes parents, de ma famille, dit-elle en recommençant à pleurer.
-
Dans ta chambre. »
Sanglots de Cookie.
« A trois heures du matin. »
Nouveaux sanglots.
« Mais, si comme tu me le certifies, et je veux bien te croire, ton cœur n’est pas malade c’est que tu sais que tes parents t’aiment.
-
Ben oui.
-
Et qu’ils sont là pour toi.
-
Oui…
-
Qu’ils le seront toujours.
-
C’est ce qu’ils disent.
-
Et tu ne les crois pas ? »
Cookie hésita quelques secondes avant de répondre.
« Si…
-
Et qu’ils te protègeront…
-
Euh… oui…
-
Oh ça suffit ! grogna Scrogneugneu, qu’on en finisse, j’ai besoin de dormir moi. Je travaille tôt demain et je ne le ferai pas bien si j’ai mal dormi. »
L’ancêtre sourit sans prêter attention au grincheux.
« Résumons ton histoire : tu sais que tes parents t’aiment, seront là pour toi et te protègerons toujours, mais tu n’en es pas sûre…
-
Euh… si !
-
Je ne sais pas, puisque tu te réveilles pour vérifier dans leur chambre s’ils sont là.
-
Ben je ne les vois pas depuis ma chambre.
-
Pourtant tu as des photos.
-
C’est pas pareil.
-
Et ton cœur….
-
Il n’est pas malade ! coupa Cookie.
-
D’accord, alors ça veut dire que tu ne l’écoutes pas quand il te parle.
-
J’entends rien moi…
-
Et moi je vous entends trop, coupa Scrogneugneu. Dernier avertissement ! »
Le vieux chêne acquiesça.
« Il est temps en effet que tu repartes d’où tu viens jolie jeune fille.
-
Comment ? je ne connais pas le chemin, dit-elle affolée en regardant autour d’elle.
-
Tu le connais très bien. Je viens de te le donner. Ecoute les battements de ton cœur, respire un bon coup, ferme les yeux, et tu seras de nouveau chez toi.
-
Mais j’ai encore beaucoup de questions…
-
Oh ça, je n’en doute pas ! Allez, ferme les yeux maintenant. »
Cookie ouvrit grand les yeux.
« Non, il faut les fermer, se moqua gentiment le chêne. Et n’oublie pas. Si jamais tu sens que tu vas te réveiller, écoute ton cœur battre, il est en train de te parler. Il a toutes les réponses.
-
Mais…
-
Non, plus de « mais ». C’est l’heure.
-
Je ne vous verrai plus alors ?
-
Qui peut le dire ? »
Le vieux chêne bougea lentement une branche à peine feuillue et Cookie sentit l’une d’elles lui effleurer la joue telle une caresse d’amour maternel. Elle s’exécuta, et en rouvrant les yeux, vit le tendre sourire de sa maman.
« Tout va bien ma chérie ? lui demanda celle-ci, étonnée de ne pas avoir été dérangée dans la nuit.
-
Dis maman, tu crois que les arbres parlent ? »
Connaissant Cookie, sa maman ne fut pas vraiment surprise par la question. Elle était habituée à plus étrange.
« Je pense en effet que les arbres communiquent entre eux.
-
Oui mais parler vraiment.
-
Ils ont une forme de langage, une façon de nous faire passer des messages. C’est peut-être ce qu’on peut appeler « parler ».
Cookie fronça les sourcils, signe d’une profonde réflexion.
« Pourquoi me demandes-tu ça ? Renchérit sa mère.
-
Parce que cette nuit, je me suis réveillée et quand j’ai voulu venir dans votre chambre, à papa et toi, et bien je me suis retrouvée dans une forêt avec un très vieil arbre et un autre qui s’appelait Scrogneugneu et ils m’ont parlé…
-
Vraiment ? Et que t’ont-ils dit ?
-
D’écouter mon cœur.
-
Voilà un bien bon conseil.
-
Oui mais j’ai pas tout compris. »
Cookie reçue une caresse sur la joue de sa maman attendrie, comme l’avait fait le vieil arbre auparavant, et se sentit en paix.
« Je suis certaine que cela ne saurait tarder, dit sa maman avec un sourire plein d’amour. Tu auras tes réponses en temps voulu. En attendant lève-toi vite pour te préparer pour l’école. »
Cookie bondit littéralement hors du lit avec un « d’accord » plein d’entrain, la tête remplie encore des images de sa forêt. Elle mit une main sur son cœur et lança gaiement « c’est vrai qu’il bat fort » avant de disparaître dans la salle de bain pour s’habiller.
Depuis cette nuit-là, Cookie, bien que toujours pleine de questions car c’était dans sa nature, ne se réveilla plus jamais à trois heures du matin… seulement lorsqu’elle était malade… pour de vrai !
FIN
Si seulement on écoutait toutes nos jeunes petites « cookies » qui vivent ces phénomènes… 😉
Oui c’est ça Françoise soyons à l’écoute de nos chérubins
une bien jolie histoire, simple, qui ne peut que plaire aux enfants…et aux parents!
et qui propose des réponses…
Merci, c’est l’effet recherché et tant mieux si ça fonctionne