Dans les bois une femme court. Elle court à en perdre haleine. Elle n’ose pas se retourner par peur de le voir tout près, trop près. Elle ne sait pas si elle va pouvoir tenir encore longtemps. Un goût de métal remonte dans sa bouche. Elle a mal, suffoque, mais elle continue encore, essaie d’aller plus vite, toujours plus vite. Elle ne sent pas les ronces lui égratigner les jambes et les bras.
La nuit vient de tomber mais elle ne sent, ni le froid, ni l’humidité. Tout ce à quoi elle pense c’est fuir. Quelle direction ? Peu importe. Ses jambes la porteront aussi loin qu’elles le pourront. Il le faut.
Et puis c’est l’obstacle de trop, la racine à peine visible. Son pied butte. Son corps cède. Elle s’écroule la tête la première sur le sol mouillé. Maintenant elle prend conscience du froid de la nuit. Elle se relève péniblement et s’adosse à l’arbre qui vient de la trahir. Sa tête le maudit mais son corps apprécie cette béquille contre laquelle elle s’appuie. Elle halète bruyamment, essaie de reprendre son souffle. Il faut repartir sans tarder avant qu’il ne la rattrape mais elle n’arrive pas à bouger.
Après tout, pourquoi ne pas prendre cinq minutes pour se poser, se reposer ? C’est vrai, c’est quoi cinq minutes ? Il serait si bon de fermer les yeux et de se laisser aller. Elle glisse lentement à terre, épuisée, et s’assoit au creux des grosses racines recouvertes des feuilles d’automne. Elle se sent bien, à l’abri, dans ce nid improvisé.
Oui fermer les yeux rien qu’un instant. Il sera bien temps de les rouvrir plus tard. Elle savoure le silence de cette forêt, retrouve une respiration lente et s’imprègne de ses odeurs. Le calme revient. Il est si bon de ne penser à rien d’autre que le silence apaisant de cette nature.
Puis soudain, un craquement. Son dos se raidit. « Mon Dieu ! » crie-t-elle mentalement. Les oreilles, tel un chien, sont aux aguets. Elle n’ose ouvrir les yeux. Toujours cette peur de le voir, de l’affronter. Son cœur s’accélère. L’angoisse monte. Sa tête bourdonne. Elle entend, attend, imagine. De fines larmes coulent malgré elle, sans pouvoir les arrêter. « C’est la fin, pense-t-elle, à quoi bon lutter ? A quoi ça sert ? Je suis si fatiguée ! »
Alors elle décide de tout arrêter, là, maintenant. Arrêter de fuir, arrêter le combat. Elle n’entend plus rien. Elle se détend un peu, forte de sa décision, et décide de garder les yeux fermés, de s’accorder ces précieuses minutes pour elle, et puis elle verra bien…
Elle se blottit dans ce lit de feuilles mortes et elle ne se relèvera pas. Les bruits rodent. Lui aussi. Mais tant pis. Elle en a décidé ainsi, quoi qu’il arrive.
Combien de temps est-elle restée ainsi ? La nuit l’enveloppe de son souffle glacé et tout s’est envolé. Elle se sent bien car elle ne ressent plus rien. « Quelques minutes de plus » lui murmure une petite voix. Et puis c’est un « NON » qui claque comme un fouet. Elle sursaute. Cette voix elle ne la reconnaît pas. Peut-être une réminiscence d’un rêve dont elle ne se souvient pas. Elle hésite encore à ouvrir les yeux. C’est trop douloureux. L’aura-t-il rattrapée ? Lui fera-t-il face ? Aura-t-elle assez d’énergie pour reprendre sa course ? En a-t-elle seulement envie ? « Laissez-moi dormir ».
Là encore c’est un « NON » qui résonne dans le silence, comme un non à l’abandon. Péniblement ses paupières se soulèvent. Le jour s’est levé. Un rayon de soleil a traversé la couche épaisse du feuillage des arbres et lui réchauffe le visage. Elle a du mal à s’habituer à tant de lumière, elle qui a vécu dans l’ombre si longtemps. Forte de cette douceur retrouvée elle se relève. Telle une vieille femme, ankylosée, endolorie, elle reprend une marche lente, hésitante, mais plus sûre de pas en pas.
Des bruits derrière elle la font tressauter. Il serait si facile de replonger. Encore un « NON » tonitruant mais bienveillant lui fait faire un autre pas, puis un autre et encore un autre. Ne pas se retourner. Quoi que ce soit, qui que ce soit, elle continuera à avancer. Elle relève inconsciemment la tête comme si elle la sortait de l’eau et prend une profonde inspiration. Elle avance, encore, toujours. Elle finira bien par la trouver.
Alors ses nerfs lâchent. Des gros sanglots secouent son corps tout entier. Elle se laisse tomber à genoux et puis c’est le rire, puissant, nerveux. Elle est là. Ce fut long, douloureux mais elle a réussi. Elle lui a échappé. Il n’y a pas de mots pour décrire un tel sentiment, mais s’il le fallait, elle dirait qu’elle se sent comme une bouteille de champagne dont les bulles remontent des pieds à la tête pour exploser sur le sommet de son crâne en un feu d’artifice multicolore.
Elle hésite encore malgré tout puis finit par se remettre debout. Elle risque un dernier regard en arrière. Il n’est pas loin. Elle le sait. Elle le ressent. Mais du plus profond de son être elle décide qu’il ne lui fera plus peur.
Alors elle se fait une promesse : celle d’aller de l’avant, peu importe le temps, peu importe le moyen, mais avancer, toujours.
Elle sourit à l’invisible et d’un mouvement lent mais volontaire reporte son attention sur la route. Au loin un bruit de moteur lui parvient. Une camionnette stoppe à son niveau et le chauffeur l’invite à monter pour la déposer. Elle est tentée d’accepter mais elle décline poliment son offre avec une phrase qu’il ne comprendra pas : « Je dois y arriver par moi-même ». Puis, relevant la tête, elle décide de suivre cette route sans savoir où elle la mènera, non pas en courant mais en marchant, lentement… mais sûrement.
Belle morale, beaux écrits, on ne t’arrête plus, et toi aussi tu avances 😉
C’est un plaisir de lire tes écrits 👏👏
Merci Christelle, lentement… mais sûrement. Bisous
Un texte puissant, qui me parle tellement!! C’est aussi le récit du combat de la vie, tout simplement, et si douloureusement parfois. Tu as très bien su mettre en mots ces sentiments qui se succèdent dans le ressenti de la souffrance.
Merci Marie-Lou, oui c’est le combat de la vie… ne pas se retourner sur le passé, fuir ces sentiments qui nous étranglent, avancer malgré les combats… c’est ça le message et pas seulement fuir celui qui nous en empêche… mais aussi… bref c’est pour ça que je n’ai pas voulu mettre un nom sur ce ou celui qu’elle fuit. Chacun y voit son propre message. Bisous
Whaou! Ma petite Véro tu es extraordinaire! Tu penses bien que ce texte me parle et suivant le vécu des personnes il résonne différemment en chacun mais malgré tout je pense qu’il nous rassemble sur un point qui est d’être un « booster, une sorte de vitamines » qui nous donne un élan nouveau afin d’affronter nos difficultés quelqu’elles soient !
Merci de partager avec nous ces beaux textes!
Gros Bisous.
Céline
Merci Céline, ces textes je les écris pour vous. Ils font partie de moi, ils contiennent une part, mais ils sont aussi une part de vous, pour vous, grâce à vous et ça me fait très plaisir qu’ils parlent à chacune de vous. Gros bisous à toi.
Oppressant….. Puis….. Libérateur…. Intense quoi !
Oppressant…. Puis….. Libérateur….. Intense quoi!
J ai adoré ce texte qui s adapte à chaque vie
Bravo et merci
Bonjour Mireille, heureuse que ça te plaise. Merci à toi de me lire