PETITE VÉRONIQUE

Lorsque je décidai de (re)naître, j’avais tout prévu : où, quand, comment, pourquoi, ne sont pas des adverbes lancés au hasard.

Mon chemin était tout tracé avec ses joies, ses peines, ses épreuves mais avec toujours la réussite au bout.

Cette enfant que j’allais devenir serait dotée de capacités incroyables et grandirait avec la certitude de faire de grandes chose dans sa vie, le sentiment d’un devoir à accomplir qu’elle réaliserait au moment opportun. Elle aurait une intuition très développée ce qui lui permettrait de se sortir de toutes les situations difficiles.

Il y avait juste un hic, Oh un tout petit de rien du tout… je devais perdre la mémoire à l’instant même où je pousserais mon premier cri : tout ne serait donc pas si simple !

J’étais ce qu’on appelle un bébé potelé avec des joues bien rondes, bien roses et un sourire franc, sincère. Comment ne pas être sous le charme ?

Sur la photo de famille, le photographe avait réussi à capter ce que la vie devrait être pour tous les enfants du monde entier : bonheur et joie de vivre.

Et même si autour de moi j’entendais « encore une pisseuse » je savais que ces personnes n’avaient rien contre moi.

Je décidai donc de grandir amnésique de ce qui m’avait amené sur terre. Je devrais découvrir jour après jour un chemin que j’avais tracé mais dont je ne me souvenais pas, tel un bébé qui se décide à se lancer dans la plus grande de ses aventures : un pas après l’autre, debout, et avancer droit devant quoiqu’il arrive.

Je n’étais pas peu fière, croyez-moi. C’est ce que l’on ressent sous les bravos des parents émerveillés devant nos premiers pas. Magique, c’est le mot qui me vient. On sait qu’on a accompli un exploit et on l’a fait, non sous les encouragements ni la pression de nos géniteurs, mais parce qu’on a décidé qu’il était temps, à cet instant précis, de le faire et que l’on a transcendé sa peur.

Je passerai les étapes de la propreté, de manger avec une fourchette, de couper sa viande, de s’habiller toute seule, de se laver toute seule, pour parler de la première grand épreuve de ma vie – la deuxième en réalité après m’être mise debout pour marcher –, le contact avec la société : la maternelle.

Il est difficile de décrire ce qui se passe dans la tête d’une enfant de trois ans face à ses congénères, mais une chose est certaine, j’ai réalisé brutalement que je n’étais pas seule, pas seule sur cette terre, pas seule à avoir des parents qui l’aiment, pas seule à être chouchoutée, cajolée… un choc !

Je parle d’une époque où avant mes trois ans, pas de crèche, pas de nounou. Ma mère étant femme au foyer, je vivais vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec elle des moments privilégiés rien que pour moi et pour elle… enfin c’est ce que je me plais à imaginer car, je le répète, je ne me souviens de rien.

Mais là, avec tous ces autres enfants, cette mini-société me fascinait, m’excitait et chaque jour j’étais impatiente d’y replonger pour apprendre des tas de choses.

J’avais la sensation d’être une bibliothèque géante se nourrissant de livres de toutes sortes avec une faim insatiable. J’étais émerveillée par ces pages colorées et cette odeur. Oh oui cette odeur de papier ! Encore aujourd’hui je ne m’en lasse pas.

Il semblerait que j’étais une enfant sage.

Je faisais office de petit ange que l’on est fier d’exhiber. C’est ainsi et il n’y a pas de honte à cela, mais cette mise en avant avait fini par être un sac trop lourd pour mes frêles épaules, un poids attaché à une cheville trop fragile. Et petit à petit, cette petite fille artiste, douée pour le chant, l’écriture, le dessin, le piano,

à l’imagination florissante, finit par s’effacer, s’éteindre pour laisser les autres briller à sa place, persuadée qu’il était mieux de profiter de la lumière des autres que d’être soi-même cette lumière.

Quand on ne se souvient de rien on ne peut pas comprendre le pourquoi des choses. Je finis donc par admirer les autres et détester celle que je n’arrivais pas à être. Cette enfant que j’avais décidé d’incarner ne méritait vraiment pas ça ! C’était une enfant innocente et attachante qui méritait au contraire d’être portée.

Cette enfant là, toujours en moi n’a jamais démérité et pourtant, telle blanche neige elle avait été empoisonnée par toutes ces barrières qui l’empêchaient d’avancer et ces couches d’infériorité dont elle se paraît comme pour une expédition dans le Grand Nord. Elle ne demandait qu’à être réveillée, écoutée, reconnue. Elle avait mis en sommeil sa créativité et attendait patiemment que quelqu’un lui montre le chemin.

Je mis du temps à comprendre que celle qui devait la réveiller c’était moi.

Ainsi je développai des angines à répétition et perdis ma jolie voix, arrêtai le dessin avec cette idée que la vraie création naissait de l’imagination et n’avait pas besoin de modèle, arrêtai le piano, et après quelques cahiers de poèmes d’adolescente, arrêtai également. Je décidai de me consacrer à « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Vous l’aurez compris je me mariai et eus deux magnifiques créations, les plus belles de ma vie.

Cependant il y avait toujours en moi cette enfant que j’avais oubliée, étouffée, abandonnée, trahie, et aujourd’hui elle se rappelait à moi : « toc toc, y a quelqu’un ? Ohé… la porte est fermée ! Ouvre-moi, j’ai besoin d’être aimée…»

Rien ne serait parfait tant que je ne me mettrais pas au monde… une seconde fois.

Je ne vous parlerai pas du temps que ça a mis, des difficultés rencontrées, des obstacles à surmonter, des souffrances engendrées, je vous dirai juste que cette « petite Véronique » qui n’a pas eu la chance de vivre comme elle l’avait planifié, est sur le bon chemin, sur la bonne voie, car elle se souvient. Elle se souvient de ce qu’elle avait décidé d’être et elle aime ça… et moi aussi.

12 réflexions sur « PETITE VÉRONIQUE »

  1. Alors là bravo ! Encore une fois… mais là j’aime beaucoup !!
    Mais tu sais que j’étais frustrée parce que c’était fini, j’attendais la suite ! Je me suis dit  » oh c’est déjà la fin?! »
    BRAVO et continue à suivre ton chemin tu es vraiment douée, même si je te l’ai déjà dit…
    Je te le redis ! Et ça n’est pas donné à tout le monde de pousser ces barrières pour renaître. Quelle force, quel courage et quel talent Madame, tu peux être fière de toi et de tout ce que tu fais et de tes productions.
    Bisous bisous

    1. Merci beaucoup Christelle, quel beau message que le tien. Je vais essayer de produire davantage mais c’est vrai qu’en ce moment je suis inspirée… Bisous

  2. étonnante ! tu as ouvert la porte, sans la refermer pour une fois… on dirait que tu as fait un séjour au Népal , et revenue … TOI. Déroutant que tu nous livres ce chemin intime et sacré. Merci pour ce cadeau.

    1. Ah ah mais pour du plus long, et bien… c’est plus long !!! merci fidèle lectrice pour encouragements. Bisous

  3. Je viens de lire « Petite Véronique ».
    J’ai adoré ton style d’écriture, la manière dont tu parles de tes souffrances (dans le sous texte quelquefois) et l’espoir de ta renaissance. Comme quoi, il faut toujours tout essayer pour réaliser ses passions.
    Bravo Véronique

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